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L’île d’en face

mardi 1er mars 2011, par Journal de la Corse

Il est loin le temps où sur les murs de Porto Vecchio fleurissaient les bons vieux slogans xénophobes à l’encontre des Sardes. Aujourd’hui, une partie de la population de l’extrême-sud est originaire de la grande île d’en face et les Corses vont faire leurs courses à Olbia. Pourtant un agriculteur corse a maltraité un Sarde qui venait vendre ses légumes dans la cité du sel.

L’île d’en face

Il fut un temps lointain quand les Corses passaient en face avec une facilité déconcertante. La Maddalena, île accrochée aux flancs nord de la Sardaigne, resta corse jusqu’à la Révolution française. Et y vivaient des Corses de l’extrême-sud souvent chassés de leurs propres villages par les vindette. Longtemps, pour les Corses, les Sardes n’ont été que des lucchisò, eux dont la culture dépassait et de loin la nôtre. Il suffit de se rendre à Sassari ou à Cagliari pour y constater les traces d’une richesse qui nous était étrangère. Pourtant, « u Sardò » est longtemps resté l’équivalent du bougnoule ou du melon. La Sardaigne est forte d’une population qui avoine les deux millions d’individus. C’est dire si le marché économique est intéressant pour des Corses entreprenants. Au lieu de cela nous feignons de croire que nous sommes toujours cet appendice de la cinquième puissance mondiale tandis que la Sardaigne serait un éclat d’un pays sans état, l’Italie.

Un raisonnement un rien xénophobe

Sans accorder plus d’importance qu’il n’en faut à ce fait divers, je me suis donc interrogé sur l’agression perpétrée par le co-président du syndicat des jeunes agriculteurs (SJA) Jean-François Renucci contre un vendeur sarde à Porto Vecchio. Je ne veux surtout pas sous-estimer la dureté de la vie des agriculteurs. La concurrence mondiale joue contre eux. Et les arguments avancés par M. Renucci paraissent à première vue frappés au coin du bon sens : ces vendeurs sardes vendraient leurs productions en dehors de toute réglementation et feraient fi des règles imposées aux producteurs locaux. C’est en gros le même raisonnement que les hôteliers qui expliquent leur infortune par les locations sauvages. Pour ce qui concerne les fruits et légumes, je trouve néanmoins le raisonnement de M. Renucci un peu court voire un rien xénophobe. Pourquoi en effet dénoncer les vendeurs qui viennent de Sardaigne et oublier ceux qu’on trouve à foison en été sur le bord de nos routes et qui sont eux des Corses et ne doivent pas payer plus de taxes que leurs homologues sardes ?

Cibler les vrais adversaires

M. Renucci pourra dire ce qu’il veut. Il y a certainement plus de manque à gagner dans les paniers que nos compatriotes ramènent d’Olbia lorsqu’ils vont faire leurs courses en Sardaigne que dans les trois francs six sous gagnés par ces mêmes agriculteurs sardes au bord de nos routes. Mais surtout, nous devons considérer que pour le meilleur et pour le pire, nous nous trouvons désormais dans l’espace européen. Dominique Milanini, responsable de la police de Porto Vecchio, a fait savoir qu’à sa connaissance les vendeurs sardes s’étaient normalement déclarés. M. Renucci a donc tort d’utiliser la violence qui n’est certainement pas un mode d’expression normal. Mais il a doublement tort de profiter des subventions européennes tout en refusant les règles communautaires. N’oublions que la France est le plus gros bénéficiaire de la politique agricole commune (PAC) de tous les pays européens. Enfin il me semble que les pires ennemis des agriculteurs en Corse comme partout ailleurs sont les grandes surfaces qui achètent à prix de misère les denrées alimentaires aux producteurs pour les revendre aux consommateurs avec des marges bénéficiaires indécentes.

Cherté de la vie cherté des grandes surfaces

Au lieu de s’en prendre aux plus misérables, les agriculteurs corses devraient trouver les voies de l’action collective et créer leurs propres structures de ventes en direct. Si je regarde l’agglomération ajaccienne, je constate que les trois grands groupes de commerce ont désormais aligné leur prix et pratiquent une concurrence bien timide au détriment des consommateurs. Les prix augmentent de manière vertigineuse en juin afin de profiter de manne touristique faisant payer le prix fort aux indigènes que nous sommes. De vrais marchés en direct seraient ainsi de véritables outils de régulation sociale et profiteraient aux plus pauvres. Car M. Renucci pourra casser toutes les baraques qu’il voudra, s’en prendre aux Sardes puis aux autochtones sans réussir à régler un problème essentiel : quand on doit nourrir les siens, on se tourne vers ceux qui vendent le moins cher quel que soit l’origine des vendeurs. Que les producteurs vendent à un juste prix une production de qualité et ils écraseront la concurrence scandaleuses des grandes surfaces qui, elles vendent des denrées souvent étrangères sans que leurs stands soient brisés. Je pense qu’il serait grand temps que les Corses considèrent les Sardes comme leurs cousins germains et les agriculteurs sardes comme des alliés et non des ennemis.

GXC

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