Cela fait belle lurette que l’hôpital d’Ajaccio alimente la presse locale. Entre la « valse » des directeurs successifs, les aides de l’Etat qui permettent la survie de l’établissement, le manque de moyens déplorés, l’étroitesse d’une structure de moins en moins adaptée, le manque de praticiens dans certains services et, point d’orgue, des comptes au rouge vif (un déficit cumulé de 74 millions d’euros), la situation semble catastrophique, malgré la bonne volonté de la nouvelle administration provisoire. Il est temps que le nouvel hôpital sorte de terre mais il est prévu fin 2017 (dans le meilleur des cas). En attendant, il faudra faire de la résistance, colmater les brèches et proposer, aux patients, un service le plus performant possible. Si la direction est persuadée que le nouvel hôpital résoudra les problèmes, le personnel et les syndicats restent, pour leur part, sur le qui-vive et redoutent un « transfert » des problèmes, et notamment de la dette, sur le nouvel établissement. En bref, on n’est pas au bout de nos peines. Enquête.
L’hôpital d’Ajaccio a fait l’objet d’une importante couverture médiatique depuis quelques temps. Par moments, il volait même la vedette aux faits divers ou aux équipes de football insulaires. Entre les occupations de l’ARS, les visites de Xavier Bertrand, ancien ministre de la santé, la gronde des syndicats et leur bras de fer avec l’administration provisoire, tout a été dit…Ou presque ! En effet, le site du Stiletto abritera d’ici cinq ans (si tout va bien), le nouvel hôpital. Finies, les économies de bout de chandelle, les problèmes de sur ou de sous-effectif, le manque de praticien, les dettes, etc, tout ne sera plus qu’un mauvais souvenir. Tout ? Ce n’est pas le sentiment du personnel, guère persuadé, d’une part, que le nouvel établissement sera bien opérationnel fin 2017, et convaincu, d’autre part, que les problèmes, notamment financiers, y seront déplacés.
Réduire la dette et assurer le service public
« Dès 1987, peste Dominique Milani, secrétaire adjoint de la section CFDT de l’établissement, nous avions demandé un hôpital neuf, nous savions que nous courrions à la catastrophe. On a, au contraire, investit de l’argent, à perte. On l’a, certes, amélioré, mais on n’a pas poussé les murs ! Aujourd’hui, nous arrivons à une dette cumulée de 74 millions d’euros. La solution ? Un effacement de cette dette. Sans quoi, le problème sera le même avec le nouvel hôpital. » Le deuxième Contrat de Retour à l’Equilibre Financier (CREF) a pour mission de préparer le nouvel hôpital, de réduire la dette et d’assurer, entre-temps, au mieux, la fonction de service public. Une réduction de dette qui passe par une réduction…d’effectif, ce qui provoque la colère des syndicats. « Le 2e CREF, reprend Dominique Milani, s’inscrit dans une démarche de développement (service ambulatoire, unité neuro-vasculaire, soins intensifs neuros, urgences. Il y a, certes, des dynamiques d’activités proposées mais, en ce qui concerne le personnel, on ne nous a pas présentés le volet social du plan de retour à l’équilibre. Leur objectif est de diminuer les effectifs d’une centaine de postes sur les cinq ans. Par quels moyens ? Pour arriver à baisser la dette annuelle à 4 ou 5 millions d’euros. Le personnel, et surtout celui lié aux soins ne doit, en aucun cas, faire les frais de cette situation. La Corse est déjà, de par sa situation géographique, diminuée. En outre, on nous dit que nous sommes mieux dotés en personnel que les hôpitaux de même capacité mais ils ignorent que nos besoins sont beaucoup plus importants. Nous voulons discuter avec la direction au plus près de la réalité des services, de la prise en charge et de la sécurité des malades. Avec un leitmotiv : l’accès aux soins pour tous ! »
Sureffectif ou mauvaise gestion ?
Le STC, pour sa part, abonde dans le même sens. « Il y a une réalité insulaire, affirme Rémy Bizzari, il faut une vision globale de la santé adaptée au territoire de la Corse. La situation actuelle est révélatrice de la faillite des différentes directions qui se sont succédé depuis vingt ans. C’est l’Etat qui nomme les directeurs. C’est à lui qu’incombe la responsabilité de cette mauvaise gestion. » Le personnel peste contre la volonté, de la direction, de réduire l’effectif actuel (1400 salariés) à 1292 ce qui ramènerait la dette structurelle à 4 ou 5 millions d’euros (au lieu de 14m d’euros). « Concernant le personnel, rajoute Rémy Bizzari, il faut savoir que, dans certains secteurs, nous avons des problèmes pour tourner. Tout le monde fait des heures supplémentaires. La direction prône une réduction d’effectif. Qu’on définisse, d’abord, le nombre de personnes nécessaires pour faire tourner l’établissement, nous verrons ensuite si il y a ou non, sureffectif. » Autre source d’inquiétude pour les syndicats, la dette cumulée et les emprunts. « L’établissement paie 4,5 millions d’euros par d’intérêt pour un emprunt doublement toxique de par sa nature et l’absence total d’investissement. Par ailleurs, cet emprunt est de l’ordre de 50 millions d’euros. Où sont-ils dans l’établissement ? »
Un établissement au maximum de ses possibilités
Enfin, le dernier point de vue, celui du corps médical, est, lui aussi éloquent. « La structure actuelle est en souffrance, explique Yves Fanton, ex-président du Comité Médical d’Etablissement, nous arrivons au maximum de nos possibilités sur ce site. L’hôpital remonte à 1958 et même s’il a connu des modifications, cela devient difficile de travailler. Il est mal dimensionné d’où un coût plus élevé. » Son successeur, le docteur Vincent Martelli, évoque, pour sa part, « un déficit lié en grande partie à l’insularité et des problèmes qui vont perdurer puisque nous sommes tenus d’être le plus performant possible d’ici 2017 avec la construction du nouvel hôpital. » Et pour ne rien arranger, le renouvellement des médecins appelés, dans les trois à cinq ans, à partir à la retraite, ne se présente pas sous les meilleurs auspices. « On est à la croisée des chemins, ajoute le docteur Martelli, la pyramide des âges fait qu’il doit y avoir renouvellement. Le souci, c’est que nous avons des praticiens qui étaient là depuis 30 ans et dont certains ont même créé leur spécialisation, et il sera difficile de les remplacer. L’autre problème relève de l’attractivité. Dans sa configuration actuelle et avec la situation que l’on connaît, il sera difficile d’attirer de nouveaux médecins. L’attractivité dépend, en grande partie, du service. » Point positif, le service des Urgences sera complètement refait d’ici la fin 2013. Et avec lui, d’autres secteurs seront remaniés mais tout cela aura, nécessairement un coût. « Durant cette période de transition, conclut le docteur Martelli, on doit poursuivre, au mieux, notre mission de service public en proposant, aux malades, la meilleure qualité de soins. » La nouvelle administration provisoire, nommée pour un an renouvelable (mais qui pourrait rester jusqu’à 2017) a, on le voit, du pain sur la planche. Dès son arrivée, elle a reçu l’ensemble des organisations syndicales afin de leur faire part de sa mission et de faire baisser la pression. Après l’échec du premier CREF et la décision de l’ARS de replacer l’établissement sous administration provisoire à compter du 1er août dernier, la marge de manœuvre semble, néanmoins, restreinte et le droit à l’erreur quasiment nul pour l’équipe actuelle. Quoiqu’il en soit, en 2012, le Grand Ajaccio, qui représente 80.000 personnes, mérite un accès aux soins digne de ce nom…
J.A.