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l’Etat cultive l’exception

jeudi 30 juin 2011, par Journal de la Corse

Justice

Au début des années 1980, au plan judiciaire, on aurait pu penser que la France en avait terminé avec les exceptions au droit commun et la culture de la suspicion. Cela n’a pas duré…

Je ne sais pas si Yvan Colonna était présent ou non du côté de Pietrosella ou dans une rue d’Ajaccio. Après une décennie de médiatisation et trois procès, je suis incapable de me forger une opinion. N’étant sûre de rien, mon inclination intellectuelle et mon sens commun me conduisent à laisser le doute profiter à l’accusé. De plus, je me dis que la Justice ayant lourdement condamné plusieurs membres des Anonymes, il n’est pas utile de prendre le risque de condamner un individu qui affirme son innocence et qu’aucun élément matériel ne désigne comme étant un coupable. Mais, tout lecteur des lignes précédentes peut me faire remarquer que les juges qui ont condamné Yvan Colonna, se sont prononcés sur la foi de déclarations concordantes faites par plusieurs personnes lors de gardes à vue et réitérées devant un juge d’instruction. Ce qui me conduit à préciser que mon choix que le doute profite à l’accusé, est conforté par l’existence en France de dispositifs d’instruction judiciaire pour le moins contestables. Je suis persuadée que les pouvoirs considérables accordés aux juges chargés de la lutte contre le terrorisme sont, de par leur nature ultra-sécuritaire voire exceptionnelle, intrinsèquement porteurs de risques d’erreurs judiciaires. J’ai la conviction que la lutte contre les violences à motivation politique ou le terrorisme, s’exerce dans un cadre judiciaire qui ne relève pas du droit commun et qui incite à privilégier la présomption de culpabilité.

Retour au sécuritaire

Pourtant, au début des années 1980, on aurait pu penser que la France en avait terminé avec les exceptions au droit commun. A l’initiative de François Mitterrand et Robert Badinter, la Cour de Sureté de l’Etat avait été supprimée. De plus, une majorité de l’opinion s’était révèlée attentive à l’exigence que la justice soit sereine et indépendante, et non sécuritaire et sous influence du contexte ou du pouvoir politique. Mais, suite à une flambée d’attentats perpétrés par Action Directe et des acteurs impliqués dans les conflits du Moyen-Orient, suite également à une première percée du Front National, l’Etat a très vite renoué avec le sécuritaire et l’exception dans le domaine judiciaire. Dès 1982, il a confié à une Cour d’Assises spéciale composée uniquement de magistrats professionnels, la répression des actes criminels intervenus dans des contextes terroristes ou d’atteintes à la sûreté de l’Etat. Cette mesure a été justifiée par la volonté de ne pas exposer des jurés populaires à des pressions ou à des violences. Le virage a été accentué quand, au milieu des années 1980, l’Etat s’est doté d’un cadre judiciaire spécifique associant des textes et des structures allant dans le sens d’une réduction des droits individuels et des libertés publiques. Ce cadre spécifique comprend aujourd’hui une législation dite « antiterroriste ». Les enquêtes et les interpellations sont essentiellement menées par la SDAT (Sous division anti-terroriste) - anciennement 6ème division centrale de police judiciaire puis DNAT (Division nationale anti-terroriste) - très connue chez nous pour ses interventions matinales et musclée. La 14e section composée de magistrats anti-terroristes est pour sa part chargée de l’instruction. Les deux défauts majeurs de ce cadre spécifique sont l’absence d’autonomie et le déficit d’objectivité. Ces acteurs doivent en théorie agir de façon indépendante et selon une exigence de découverte de la vérité. En réalité, ils font l’objet d’une forte pression du pouvoir politique et la recherche du résultat les incite à travailler de concert pour étayer des présomptions de culpabilité.

Alexanda Sereni

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