Au terme d’un procès où l’émotion était palpable et la douleur encore très vive pour la famille de Carine Acquaviva, le procureur a requis six mois de prison avec sursis pour les trois médecins prévenus. Dans cet entretien accordé au JDC, Maître Camille Romani, avocat de la partie civile, revient sur le procès.
Le procès s’est déroulé cinq ans après les faits. Comment expliquez-vous ce long retard ?
Cinq ans pour traiter une affaire d’homicide involontaire, je trouve cela ahurissant. À titre d’exemple, l’affaire de Furiani avec le nombre de victimes que l’on sait, un nombre de prévenus beaucoup plus important et, de même en ce qui concerne les avocats, a été clôturée et fixée à plaider en deux ans et demi. Et c’est ainsi, à mon sens, que la justice doit fonctionner quand nous sommes face à des victimes en quête de vérité. Et encore, le dossier serait encore entrain de dormir dans les armoires du parquet du tribunal d’Ajaccio si l’un des prévenus, en l’occurrence le docteur Le Thai, n’avait pas récidivé à la Réunion.
Que s’est-il passé à la Réunion ?
Le docteur Le Thai devait enlever un rein malade, il s’est trompé et a enlevé un rein sain. Le patient, doit vivre, aujourd’hui, sous dialyse. Cette affaire a eu une résonance médiatique importante sur le plan national. Fatalement, les médias se sont rendus compte que le docteur Le Thai avait des antécédents en Corse. J’ai donc profité de ce second incident pour relancer l’affaire en ne manquant pas d’informer la presse que toutes mes demandes effectuées auprès du parquet d’Ajaccio pour demander les raisons de ce long retard pour l’affaire qui nous concerne, étaient restées, jusqu’à présent sans réponse. Et il était grand temps que la famille de Carine Acquaviva ait enfin droit à son procès.
Finalement, la récidive du docteur Le Thai en a été l’élément déclencheur.
Oui. Grâce à cet incident survenu à La Réunion, le parquet s’est enfin décidé à prendre ses responsabilités. Quelques semaines ont suffi pour renvoyer les trois médecins concernés devant le tribunal correctionnel d’Ajaccio. Je précise que le juge d’instruction avait informé toutes les parties qu’il entendait clôturer sa procédure. Il l’avait fait dès le mois de juin 2010. Et, alors que le code contraint le parquet à prendre ses réquisitions deux mois après, nous n’avions toujours rien en février 2011. J’ai donc écrit au parquet pour m’indigner de ce retard. Il est resté sans réponse. Quelques semaines plus tard, l’incident du docteur Le Thai a été révélé au grand jour avec les conséquences que l’on sait.
Qu’est-il ressorti du procès ?
Au vu du premier rapport d’expertise, la culpabilité des trois médecins a été avérée. Ce collège d’experts placé sous la présidence du professeur Alain Haertig, qui est une sommité, a rendu, en 2007, un rapport accablant pour les trois médecins. Il retient, à l’origine, une faute grossière au moment de la délivrance quand survient une hémorragie qui n’est pas exceptionnelle. Le gynécologue prend la décision qui s’imposait, de pratiquer une césarienne. Il la recoud au niveau de l’utérus et par maladresse, ligature, un des uretères au niveau de la vessie. Se rendant compte de son erreur, il appelle le docteur Le Thai, urologue de garde ce jour-là. Ce dernier recoud la plaie de la vessie mais au cours de cette opération, il ligature le second uretère. À ce moment-là, la jeune femme se trouve en état d’anurie. C’est une urgence médicale vitale et il convient d’agir très rapidement. Le docteur Le Thai pratique, alors, un test au bleu de méthylène en injectant un liquide bleu dans le circuit urinaire. L’état d’anurie est démontré. Ils s’en rendent compte mais, de mauvaise foi, dirons, plus tard, qu’ils n’en n’avaient pas la certitude. Au lieu d’agir dans l’urgence, ils vont se perdre en conjectures et imaginer qu’il s’agit d’une anurie fonctionnelle liée à l’hémorragie, ce qui est aberrant selon les experts. Le médecin anesthésiste passe la main à son successeur, le docteur Mathys en insistant sur le fait qu’il y a un problème au niveau des uretères. Plutôt que de mettre cette jeune femme sous dialyse, ce qui lui aurait sauvé la vie, le docteur Mathys lui administre un traitement médicamenteux à base de liquide. On lui injecte huit litres de produit et notamment des produits morphiniques, qui ont contribué, toujours selon les experts, à l’intoxication de Carine Acquaviva. Le docteur Le Thai échoue, de son côté, dans toutes ses tentatives pour dériver les voies urinaires. Les experts ont affirmé que ces gestes sont très faciles à réaliser. Au lieu de désobstruer les uretères, il referme la plaie et tente plusieurs opérations qui auraient dû réussir et sauver la patiente. Or, il a échoué de nouveau. Constatant ces échecs successifs, l’anesthésiste aurait dû avoir recours à la dialyse, ce qui aurait permis de gagner du temps et de permettre à des médecins autrement plus compétents, comme le docteur Pernin, absent ce jour-là, de prendre le relais. Ils n’ont rien fait de tout cela et la malheureuse est morte quelques heures plus tard.
Quelles sont vos conclusions ?
Ces médecins ont menti au juge d’instruction. Quand il demande au docteur Mathys pourquoi il n’a pas pratiqué une dialyse, celui répond qu’il a eu peur, compte tenu de l’hémorragie, de lui administrer des anticoagulants qui composent le traitement à base d’hémodialyse. C’est un argument qu’il n’avait jamais présenté auparavant et qui est irrecevable car l’hémodialyse peut être pratiquée sans anticoagulants. On ne comprend pas, par ailleurs, pourquoi l’urologue et l’anesthésiste n’ont pas exigé la dialyse, ce qui aurait sauvé la patiente. Il y a, quoiqu’il en soit, à la charge de ces médecins, une multitude de maladresses, d’inattentions ou de négligences que l’on peut retenir. Et le texte 226-1 du code pénal qui s’applique en matière d’homicide involontaire, prévoit justement ces termes-là.
Que reprochez-vous aux trois médecins prévenus ?
Le grief essentiel, c’est de ne pas avoir, alors même que leur code de déontologie l’impose, chercher à obtenir l’avis de tiers, c’est-à-dire d’autres médecins comme les docteurs Pernin, Sandid ou Menasse en les faisant venir sur place ou en les joignant par téléphone. Ils sont, même d’une extrême mauvaise foi quand on leur demande des explications sur cette absence de communication. Par orgueil, et de peur de subir l’humiliation de la part de confrères qui auraient donné la marche à suivre, ils ont persisté dans leurs négligences. Tout cela vient aggraver le contexte d’une simple erreur médicale. il ne s’agit pas simplement d’un problème d’incompétence, de maladresse ou d’inattention, il s’agit aussi d’erreurs commises par orgueil.
Que s’est-il dégagé du procès ?
L’impression générale qui se dégage, même si ce n’est pas le fait du monde médical dans sa globalité, est celle d’un monde de gens orgueilleux, d’individus imbus de leur personne qui refusent d’admettre, à un moment donné, qu’ils n’ont pas eu la compétence nécessaire pour faire certains gestes médicaux et qui s’obstinent à ne pas vouloir de conseils de personnes susceptibles d’apporter un autre regard.
Les antécédents du docteur Le Thai ont-ils été évoqués au cours du procès ?
Je l’ai fait au cours de ma plaidoirie. J’ai dit, en préambule, que s’il n’y avait pas eu cette récidive du docteur Le Thai, le dossier dormirait toujours dans les armoires. J’ai précisé, également, qu’il était impossible, à la famille, de pardonner dans la mesure où le pardon n’est accordé qu’aux gens qui reconnaissent leur responsabilité. Or, les trois prévenus n’ont, à aucun moment, reconnu leur responsabilité dans ce dossier. Ils ont tous cherché à fuir et il émane de certains témoignages, notamment celui du docteur Leconte qui est venu défendre le docteur Mathys, un esprit de corps malsain et une protection des médecins entre eux. Ils cherchent à se protéger.
Si les médecins avaient reconnu leur responsabilité, la famille Acquaviva aurait-elle été soulagée ?
La famille ne se serait même pas constituée partie civile si dès le départ, les médecins avaient fait profil bas en reconnaissant leurs erreurs. Ce qui n’a pas été pas le cas ; le docteur Le Thai a assuré n’avoir commis aucune erreur, inattention ou négligence. Ils ont été frappés d’une interdiction d’exercer mais ont fait appel. Le docteur Mathys a obtenu la main levée de son interdiction. Le docteur Le Thai est monté devant la chambre d’instruction et j’ai insisté, en précisant qu’il considérait avoir agit de la bonne manière, conformément aux données acquises de la science, et que si la situation se reproduisait, il serait amené à commettre d’autres erreurs. ils ont fait foi à sa demande et mes prévisions se sont avérées exactes puisqu’il a récidivé à la Réunion. Quant au docteur Tomasini, qui s’est auto interdit de pratiquer des accouchements depuis 2006, il est le seul à avoir été digne.
Quel est votre sentiment sur le réquisitoire ?
Dans la forme, le quantum des réquisitions nous paraît très bas. Les médecins, et c’est ce que la famille regrette, auraient dû être frappés d’une interdiction d’exercer. Il faut savoir, par ailleurs, que ces médecins ont eu le culot de demander au tribunal d’ordonner, en cas de condamnation, qu’elle ne figure pas à leur casier judiciaire B2, celui que réclame l’administration dès lors qu’une personne souhaite travailler dans le secteur public. Le parquet s’y est, fort heureusement, opposé et les docteurs Le Thai et Mathys ne pourront pas postuler dans le secteur public s’ils sont condamnés. En outre, la résonance médiatique de cette affaire ne va pas jouer en leur faveur.
Pensez-vous qu’ils seront condamnés ?
Ils peuvent bénéficier d’une relaxe car, en la matière, le droit leur est plutôt favorable. Il faut définir un lien de causalité direct entre les fautes commises et le dommage. Nous avons plaidé qu’il y avait un lien de causalité mais le tribunal peut très bien considérer que ce lien est indirect. Si tel est le cas, la condamnation pénale, peut intervenir si les fautes commises par les médecins sont considérées comme des fautes caractérisées. J’ose espérer que le tribunal le considérera et prononcera une condamnation pénale. Dans le cas contraire, ils seront relaxés et ce sera une douleur supplémentaire pour la famille.
Pourrait-il y avoir appel ?
Il y aura appel des médecins s’ils sont condamnés. Et il y aura appel, je l’espère, du parquet, s’ils ne le sont pas. Si le parquet ne fait pas appel, la partie civile peut s’en réserver le droit mais sans aucune incidence sur la peine.
Interview réalisée par Philippe Peraut