Progressivement, sur fond de guerres sanglantes entre bandes, de main basse sur la terre et l’économie, d’intrusion dans la sphère de décision politique, un système mafieux se met en place.
Ah qu’elle sera belle et douce à vivre la Corse que nous laisserons à notre descendance ! Avec l’activité criminelle de quelques centaines d’individus, la collaboration de ceux qui vendent leur terre au plus offrant, la passivité ou la cécité de la majorité d’entre nous, nous condamnons nos enfants et petits-enfants à vivre non pas sur l’Ile de Beauté d’un peuple fier, mais sur une terre bétonnée aux mains des affairistes et des mafieux et dans une société soumise au culte de l’argent. En effet, au nom du profit, usant de la corruption, de la menace et au besoin de l’assassinat, des spéculateurs et des bandes criminelles mettent la main sur le littoral, ajoutant aussi à leur tableau de chasse les transactions immobilières, le BTP et les secteurs marchands les plus rentables. Pourtant, seuls quelques individus et associations osent dénoncer ces agissements. Le reste de la population se tait et trop d’élus se réfugient en silence derrière la préparation interminable du PADDUC et les réunions stériles de la Commission Violence créée par l’Assemblée de Corse. Quant à l’Etat, il est aux abonnés absents. L’unique rempart est constitué par l’action de quelques juges qui, par de regrettables pratiques frisant l’arbitraire ou des dérives médiatiques, nuisent à la légitimité et à l’utilité de leur action. Aussi, progressivement, sur fond de guerres sanglantes entre bandes, de main basse sur la terre et l’économie, d’intrusion dans la sphère de décision politique, un système mafieux se met en place. Il gangrène le corps social, corrompt la jeunesse et compromet l’avenir. Les conditions sont favorables pour que, dans un futur proche, la loi des armes et de l’argent détermine l’émergence d’une organisation aux ramifications variées et occultes, qui régira la société et imposera ses décisions aux institutions locales (Collectivité Territoriale, départements, communes…) Lors des Assises du Littoral qui ont eu lieu récemment à l’initiative de la Collectivité Territoriale, avec à l’ordre du jour la réalisation des documents d’urbanisme et les modalités d’application de la loi Littoral, l’association pour la défense de l’environnement U Levante a d’ailleurs lancé un cri d’alarme. Elle a mis en exergue la spéculation foncière déferlant sur les terres proches du rivage, l’inaction de l’Etat et la complaisance de certains élus, l’action criminelle visant à contrôler le foncier littoral. Pour U Levante, il est avéré que la Corse est confrontée à un tsunami spéculatif renforcé par le grand banditisme et nourri par l’argent sale. L’association a d’ailleurs détaillé les responsabilités.
Intimidations, menaces, attentats…
U Levante a précisé que l’Etat était coupable, depuis des années, d’une sous-application de la loi Littoral, ce qui a laissé le champ libre à la spéculation du fait que trop peu de communes disposaient d’un plan local d’urbanisme (PLU). Elle a rappelé que lors de l’élaboration du projet de PADDUC auquel elle a finalement du renoncer faute de majorité à l’Assemblée de Corse, la droite insulaire avait préconisé que des espaces remarquables inconstructibles soient reconnus constructibles afin que puissent être réalisés des programmes immobiliers. Elle a souligné que prévoyant l’adoption d’un PADDUC laxiste, des communes avaient élaboré leur PLU selon une vision stratégique d’économie résidentielle. Enfin, elle a déploré que malgré l’abandon du projet de PADDUC, les communes ayant adopté des PLU inspirés par le « tout résidentiel » autorisaient la réalisation des programmes immobiliers en relevant, alors que l’État n’exerçait pas le contrôle de légalité. Par ailleurs, U Levante a souligné que seules les associations du Collectif pour l’application de la loi Littoral permettaient de freiner la spéculation, en agissant en justice pour demander l’annulation des PLU des communes où la pression spéculative immobilière se faisait la plus fort et en obtenant que le tribunal administratif leur donne gain de cause à Bonifacio, Sartène, Olmeto, Serra di Ferro, Porto-Vecchio, Coti-Chiavari, Calcatoggio, Ota (partiellement), Calvi (révision du POS de la pinède) et Borgo (révision du POS du cordon lagunaire de La Marana). Toutefois, étant consciente des limites de l’action associative, U Levante a signalé qu’il était impossible de contrôler les milliers de permis de construire délivrés chaque année et que seul un PADDUC réellement protecteur de l’environnement et s’imposant à tous les documents d’urbanisme de rang inférieur, pourrait être une arme efficace contre la spéculation. L’association a aussi mis en cause des « promoteurs influents », les accusant d’être « à la tête d’organismes officiels ou de quelques bandes qui, aujourd’hui, tentent de se partager le territoire à coups d’assassinats ». Selon U Levante, « se placer en travers de leur route » serait « risquer gros ». Les personnes s’y employant seraient soumises à des pressions et violences tant physiques que psychologiques (attentats, intimidations ou menaces plus directes, noms jetés en pâture par certains maires).
Un Etat encore absent ?
Aussi U Levante interroge : « sur la voie de cette société mafieuse, que fait l’État ? » et précise : « les annulations des documents d’urbanisme étant suspensives, c’est à lui de faire appliquer le droit ». Mais l’association ne cache pas son pessimisme notant que 5 500 permis de construire sont accordés annuellement et que de nombreuses constructions sont illicites. En ce sens, elle invoque une déclaration dans laquelle le Préfet de région aurait assuré qu’à Porto-Vecchio, 70% des dossiers portant autorisation de construire avaient reçu un avis favorable malgré l’annulation du PLU. De quoi, effectivement, ne pas se montrer optimiste…
Pierre Corsi