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Ferrari ou le Dieu mélancolique

jeudi 15 novembre 2012, par Journal de la Corse

Le sixième roman de Jérôme Ferrari a obtenu le prix Goncourt 2012. C’est une excellente nouvelle pour l’auteur qui dispense sa musique intérieure d’ouvrages en ouvrages. Ça l’est également par la Corse qui commençait à ne plus être décrite que comme l’île aux meurtres et de la vendetta. Pourtant à bien y regarder, la nouvelle littérature corse, si elle rompt radicalement avec le romantisme pastoraliste qui fit fureur durant un siècle et demi, pratique une sorte de renversement des clichés habituels en en créant d’autres mais nés de l’imaginaire fécond des auteurs ceux-là.

Ferrari, Biancarelli et les autres…

La période des années 80 aura en définitive été la matrice d’un nouvel imaginaire littéraire corse. Des auteurs comme Ferrari ou Biancarelli ont accompagné le nationalisme avant que leur désillusion ne devienne la matrice féconde de leur imaginaire. Livre après livre, ils tentent de pénétrer la noirceur de l’âme corse et sa capacité à créer (à se créer) des mirages. Ils la démembrent et l’autopsient détruisant sans pitié ses belles légendes. C’est tout à fait novateur car la littérature corse s’est, entre les deux-guerres, s’est résumé à de piètres ouvrages folkloristes qui reprenaient les vieilles antiennes dictées par la culture française. Ferrari et Biancarelli font entendre une nouvelle musique. Ils font naître un nouveau regard qui ne saurait être cantonné à une sous-culture régionaliste. C’est ceux d’hommes imprégnés non pas d’une culture mais d’une réalité ilienne unique : celle de la vraie Corse.

La mise à mort de l’image rousseauienne

Le nationalisme corse avait contribué à bâtir une image miroir de la Corse en idéalisant le passé et en refusant d’y percevoir son caractère cyclique et (à peu près) répétitif La Méditerranée est une région de soleils noirs, d’apparences trompeuses voire d’apparence tout court. Sa lumière éblouit mais derrière se tient une obscurité qui enfante les jalousies, la frustration, les élans brisés et donc la violence. Les nationalistes ont cru à une Corse rousseauienne, peuplée de pâtres philosophes et guerriers tout à la fois, tendus vers un but unique : un progrès qu’interdisait les conquérants du moment. Ferrari et Biancarelli exhument les ressorts d’un destin collectif pour décrire leur fonctionnement sur les individus. Ils peuplent les villages désertifiés de l’intérieur d’individus pessimistes voire misanthropes, mais conscients de l’illusion du monde moderne. Ferrari parvient par petites touches à restituer le monde de l’inachevé permanent. Quand il pourrait décrire le bonheur, il place un détail qui le détruit et marque son impermanence ontologique. Les allers retours dans le temps, la magie des prénoms et des noms qu’on ne parvient pas à situer (Vème siècle, entre-deux-guerres ou moderne ?) ajoute à l’intelligence des situations.

Le temps humain contre l’éternité divine

Ferrari, tel l’empereur Honorius assiste à la chute d’une culture . Un historien anglais du XVIIIème siècle Edward Gibbons écrivait à propos de l’empereur Honorius : "Il passa ce temps de sommeil qu’on a appelé sa vie, captif dans son palais, étranger dans son pays, spectateur patient et presque indifférent de la ruine de son empire, qui fut attaqué à différentes reprises et enfin renversé par les efforts des Barbares". Ne serait-ce pas le portrait de l’homme Ferrari ? Saint-Augustin résume son sermon en quelques mots : « Le ciel et la terre passeront » reprenant la phrase de l’Eccclesiaste sur la vanité des hommes et des choses. Il s’adresse aux Chrétiens et leur reproche de vouloir le bonheur, leur bonheur, alors Dieu ne saurait être enfermé dans la prison du temporel et dans une dialectique de victoire ou de défaite humaines. Aeterna promisit Aeternus ! Dieu promet les choses éternelles. Dieu n’a fait pour l’homme qu’un monde périssable. "Le sermon de la chute de Rome" commence sur une photo, une image figée, prise en été 1918 dans un village corse. Elle décrit une forme de bonheur mais il y manque un personnage, soldat fait prisonniers par les Allemands. C’est le cliché d’une vie arrêté. L’ouvrage s’achève sur la mort de ce personnage. Cette agonie est le passage vers une forme de liberté qui annonce un recommencement qui se transformera un jour en prison. Dieu se trouve là-haut loin des angoisses humaines tel l’empereur Honorius qui contemple ce cycle sysiphien de destruction/reconstruction. Magnifique réflexion écrit d’une manière incisive. Ferrari est un Dieu mélancolique en son domaine.

GXC

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