Un homme libre ? Qualification accolée à Lucien Bonaparte pendant une exposition trop brève. Elle lui a été consacrée au Musée des Beaux Arts d’Ajaccio. Le temps d’un été. Ainsi est présenté l’enfant terrible de la famille impériale. « Homme libre toujours tu chériras la mer ! » a pu écrire Baudelaire. Voire. Tout au moins, Lucien Bonaparte a pu la chérir lorsqu’elle le fit échapper à l’enfermement de son île natale, tout jeune encore. « Cette île remarquable par ses mœurs à la fois pastorales et guerrières » écrira-t-il plus tard dans un des ses poèmes épiques « Charlemagne ». Et à laquelle il consacrera une seconde épopée « La Cirneide » « à l’exemple d’Homère dans l’Odyssée. » A son départ de Corse, il a sans doute emporté l’esprit républicain de Pascal Paoli. Il n’allait pas tarder à parvenir, dans la jeune République de France, à la célébrité du pouvoir et de l’Histoire. Il devint le Président du Conseil Législatif des Cinq Cents. Il prit en cette qualité, comme on sait, une part active à la journée du 18 Brumaire An VIII (10 novembre 1799) qui se termina par la proclamation de Napoléon comme Premier Consul. Il devait en dire plus tard, dans un méchant calembour que « la République, en couches d’un empereur, mourut de l’opération césarienne ». On n’a retenu de ce moment que l’action des hussards de Murat, chassant les députés de leurs sièges. Le général Bonaparte tira de cette scène théâtrale l’avantage de se prévaloir d’une prise de pouvoir qu’il prétendait devoir uniquement à son prestige et à sa force. En réalité l’irruption des militaires n’était pas déterminante. La transformation du régime avait été longuement préparée. La vraie force ne s’était trouvée que dans la loi. Cette voie légale avait été entérinée par les deux chambres (Les Cinq Cents et les Anciens) sous l’impulsion décisive de Lucien Bonaparte, politicien remarquable, parlementaire et orateur de grand talent. On comprend dés lors l’hostilité que Napoléon avait manifestée à son frère à partir de Brumaire. Lucien Bonaparte ne jouera plus de rôle politique majeur en France. Il restera critique, bien souvent, sur la politique de son frère, comme ce fut le cas pour la vente de la Louisiane aux Etats-Unis en 1802. Il avait toutefois accepté, en 1801, la charge d’ambassadeur de France à Madrid qu’il allait exercer pendant un an. La mer fut alors, une fois encore, favorable au collectionneur de tableaux passionné qu’il était. Un navire ayant été pris aux Anglais, son chargement précieux fut mis aux enchères. Lucien avait acquis plusieurs Murillo, deux Ribera et d’autres toiles de peintres renommés. Il possédait en quittant l’Espagne trois cents tableaux. Il ne manquait pas de comparer la qualité des peintures de sa galerie à la collection de son oncle de deux mille tableaux qu’il disait dénués de valeur. Dés 1804 il ira s’installer en Italie. Le palais Nunès, sa demeure principale à Rome recevra sa galerie de tableaux. Il l’avait commencée à Paris avec des Perugin, des Vinci, des Guide des Hollandais. Et aussi des toiles de l’école française moderne, comme le « Bélisaire » de David. Il acquit une villa à une centaine de kilomètres de Rome avec une vaste propriété. Le Pape Pie VII la lui céda tout en la transformant en principauté de Canino et en conférant à son propriétaire le titre de Prince de Canino. Lucien va pouvoir se livrer à son goût pour les lettres, les sciences et les arts. Il va tâter de l’astronomie et de l’archéologie et faire du mécénat littéraire et artistique. C’est à Canino qu’il cette fois la mer lui fut défavorable. Les Anglais le firent prisonnier. Il vécut au château de Thomgrove en Angleterre, placé en résidence surveillée. Il y installa un observatoire, termina commencera à écrire son « Charlemagne ». En 1810 il voulut rejoindre les Etats-Unis. Mais la rédaction de « Charlemagne » et y écrivit « La Cirneide ». Libéré en 1814, il rejoignit Napoléon dans ses combats contre les Alliés pendant les Cent Jours. Les deux frères se réconcilièrent. L’esprit de famille avait triomphé. Et voilà que le Palais de l’oncle Fesch réconcilie dans ses galeries le persiflé et le persifleur. Ah ! Ces Bonaparte ! Quels romans que leur vie ! Marc’Aureliu Pietrasanta