La démographie corse laisse apparaître trois grandes tendances : le solde naturel est neutre, la population n’augmente que par l’immigration, le vieillissement de la population est de plus en plus marqué. Trois raisons de s’inquiéter.
Selon l’INSEE, la population de la Corse a franchi la barre des 300 000 habitants. Notre île est même dans le peloton de tête des régions françaises ayant bénéficié d’une forte croissance démographique depuis le début des années 2000. Ce dynamisme démographique ne doit cependant pas grand-chose à la natalité. On compte annuellement dans l’île autant de naissances que de décès. Ce solde naturel neutre interdit le renouvellement des générations car ne résultant pas d’un nombre anormalement élevé de décès mais d’un nombre insuffisant de naissance. La Corse est la région de France où le taux de fécondité est le plus bas. Ces dernières années, le taux de fécondité en France était de 2,01 enfants par femme, soit le plus fort taux européen après l’Irlande. En Corse, il plafonne à 1,6. Il y a matière à s’inquiéter de cette situation. Elle laisse soupçonner un vieillissement de la population. Au sein de la population féminine le nombre d »individus en âge d’enfanter serait proportionnellement moins élevé que dans les autres régions françaises. Elle peut aussi suggérer que les difficultés économiques et la violence qui caractérisent la société corse, incitent à moins enfanter soit pour concentrer les ressources du couple sur les besoins de l’enfant unique, soit pour échapper à la charge parentale.
Pas assez de naissances insulaires
L’augmentation de la population doit quasiment tout aux phénomènes migratoires. En effet, le solde migratoire - nationaux plus étrangers - est très important. L’immigration représente près de trois fois la moyenne nationale. On se presse pour venir chez nous, tout comme on se bouscule pour s’installer sur le pourtour méditerranéen occidental, c’est-à-dire de Gibraltar à Messine. L’immigration représente un apport de population de 1.6% très supérieur à la moyenne nationale (0.6%). Cette immigration est composite. Beaucoup de jeunes entre 25 et 39 ans figurent parmi les arrivants. Ils sont attirés par les métiers du tourisme, du BTP et des services, mais aussi par un cadre de vie qu’ils jugent particulièrement agréable. On relève aussi le retour au pays de jeunes Corses ayant quitté leur île pour étudier ou se former professionnellement. En effet, si nombre de jeunes insulaires de 18 à 24 ans quittent la Corse pour étudier, se former ou trouver un emploi, beaucoup choisissent de revenir avant la trentaine. Ils y sont incités par le « mal du pays », le souhait de se réaliser chez eux ou, de plus en plus fréquemment hélas, par l’impossibilité de construire leur destin professionnel du fait du chômage sévissant sur le Continent ou pour démarrer une vie professionnelle. Cette situation comporte elle aussi des aspects préoccupants. L’arrivée massive de migrants révèle que les politiques de formation locales peuvent ne pas être adaptées aux besoins de l’économie. Elle suggère aussi, au vu du niveau très élevé du chômage relevé en 2011 (plus de 150 000 sans emploi), que la demande est loin d’être en adéquation avec l’offre. Cela transparaît particulièrement si l’on prend en compte le nombre importants de néo-insulaires dans l’encadrement et les métiers les plus qualifiés de l’entreprise privée et de la fonction publique. Cela n’est pas démenti par un niveau de diplômés inférieur à la moyenne française (33 % des résidents n’ont aucun diplôme, alors qu’ils ne sont que 30 % dans cette situation au niveau national ; 19 % de la population dispose d’un diplôme supérieur au baccalauréat contre 24 % au plan national). On peut enfin subodorer que l’immigration massive, du fait de la rareté de l’emploi, explique en bonne partie la relance des revendications de « corsisation des emplois » ainsi que des manifestations de rejet à l’encontre de certaines populations issues de l’immigration.
Trop de retraités ?
Le vieillissement de la population résulte en grande partie d’un taux de retraités résidents supérieur à la moyenne nationale. La part des moins de 20 ans est sensiblement inférieure à la moyenne nationale. Les plus de 75 ans représentent 10 % de la population contre 8,7 % pour la France. Cette situation n’est en rien réjouissante. Certes les retraités injectent une grande bonne part de leurs revenus dans l’économie et contribuent fortement à l’activité économique et à la commande privée en investissant dans la construction et la rénovation immobilières. Certes aussi, ils génèrent de l’emploi dans certains secteurs, par exemple l’aide à la personne. Ils contribuent également à l’essor des pôles urbains et à une revitalisation saisonnière (mai à octobre) des zones rurales. Toutefois, la forte présence de populations âgées représente aussi une somme de charges et d’immobilisme. La Corse va devoir consacrer de plus en plus de ressources financières et humaines aux politiques de santé, d’aide à la personne, de prise en charge de la dépendance. On peut aussi s’interroger sur les conséquences culturelles (décorsisation), sociales (immobilisme) et politiques (conservatisme) qu’auraient une forte migration de retraités d’origine non corse vers les villes et villages de l’île. La démographie impose donc des défis majeurs à la société corse et plus particulièrement aux décideurs politiques. Négliger les évolutions actuelles pourrait déboucher sur des fractures générationnelles, économiques, politiques, communautaires et culturelles.
Pierre Corsi