Notre si grand ami Kadhafi
Le Conseil de Sécurité de l’ONU a voté, à l’instigation de la France, une résolution qui autorise le recours aux armes contre le dictateur Kadhafi, résolution qui n’aura vraisemblablement aucune incidence déterminante sur le terrain. La Russie et la Chine se sont abstenues justement parce que Kadhafi ne risque plus rien et que son maintien en place est nécessaire à l’équilibre de la région. Affaibli il sera encore plus utile aux pays qui lui sont liés tels que l’Italie ou Malte. L’inventeur du Bonga bonga cher à Berlusconi semble détenir quelques petits secrets sur certains dirigeants du monde occidental que ceux-ci n’ont pas envie de voir étaler au grand jour.
Une économie libyenne au service d’une dictature
Alors que Kadhafi est en train d’écraser les insurgés de l’est libyen, l’économie libyenne, essentiellement orientée vers l’exportation d’hydrocarbures et de capitaux vers l’Europe, est paralysée. Pour l’heure, les pays européens semblent en faire les frais. L’insurrection libyenne a mis en exergue la réalité paradoxale d’une économie en pleine forme qui sert les seuls intérêts d’un dictateur sans pitié pour son propre peuple. La croissance a frôlé les 10 % en 2010. Pourtant les Libyens vivent dans le sous- développement et la pauvreté. Les revenus pétroliers sont la seule source sur laquelle repose l’investissement public dans ce pays. Mais, aussi, en raison d’un embargo qui aura duré plus de dix ans, la Libye est restée longtemps loin du circuit économique international. La crise qui frappe le troisième exportateur mondial de pétrole affecte en premier lieu l’Italie, dont le tiers des besoins est fourni par la Libye. Les liens économiques entre l’Italie et la Libye se sont resserrés en 2008 avec la signature d’un accord historique dans le cadre duquel Rome s’est engagée à verser cinq milliards de dollars pendant 25 ans à Tripoli au titre de dédommagements pour la colonisation. En échange, les entreprises italiennes ont obtenu de nombreux contrats en Libye, tandis que Tripoli s’est renforcé dans le capital d’entreprises italiennes grâce à ses « pétrodollars ». C’est dire si Berlusconi n’a guère poussé à une intervention militaire contre la dictature libyenne. L’autre pays touché au cœur par les soubresauts libyens est Malte. L’année dernière, le port de La Valette avait accueilli pour 34 millions d’euros d’importations de Libye et 85 millions d’euros d’exportations maltaises. Aujourd’hui, le port est au bord de la faillite.
L’Afrique également
Certains pays d’Afrique de l’Est sont également en crise. La Libye, avait investi dans les télécommunications en Ouganda, au Rwanda, en Zambie, au Sud-Soudan, en Sierra Leone, en Côte d’Ivoire, au Niger, en Guinée-Conakry et au Bénin. Aujourd’hui les transits bancaires sont au point mort. La Libye possède également des intérêts dans l’hôtellerie, la confection et l’agroalimentaire en Ouganda, mais aussi dans le génie pétrolier et la distribution du pétrole au Kenya et en Ouganda. Les entreprises libyennes y ont contracté des dettes colossales qui, si elles n’étaient pas remboursées provoqueraient des catastrophes en chaîne. Aujourd’hui, la plupart des entreprises libyennes sont insolvables. Leur activité dépend, en effet, de transferts financiers réalisés par l’Etat libyen sur ordre personnel du colonel Kadhafi. L’autre pays africain gravement touché par la révolte libyenne est évidemment l’Égypte. Le retour chez eux de milliers de travailleurs égyptiens à la suite de manifestations massives contre le régime de Kadhafi entraîne la perte de plusieurs millions de dollars en transferts de fonds. Par ailleurs, les émigrés rentrés au pays se retrouvent le plus souvent au chômage. Environ 1,5 million d’Égyptiens travaillaient et vivaient en Libye et rapportaient à l’Égypte 254 millions de dollars par an au pays. La disparition de cette manne financière pourrait avoir des conséquences sociales en Égypte. Qu’adviendra-t-il de Kadhafi en cas d’intervention de l’ONU ? Nul ne le sait mais une telle intervention pose plusieurs problèmes. Le premier est de savoir s’il est vraiment judicieux d’écraser un régime comme au bon vieux temps de la canonnière coloniale au risque de le transformer en martyr. Kadhafi a été tour à tour un ennemi irréductible des forces occidentales puis un allié contre Al Qaida. Une grande partie de son armement provient justement des pays qui aujourd’hui s’apprêtent à l’écraser. La deuxième difficulté est celle de la relève politique dans un endroit aussi stratégique. L’opposition n’a guère réussi pour l’heure à s’offrir des dirigeants de stature internationale. Le monde change et la force armée ne sera pas toujours le régulateur des conflits.
GXC