On n’a pas fini de mariner
La réalité et la franchise commandent de convenir que la plupart d’entre- nous s’interrogent sur l’insécurité, l’immigration, l’intégration, la laïcité et l’islam.
Les deux sondages plaçant Marine Le Pen en tête au premier tour de la présidentielle ont fait l’effet d’une douche froide. L’UMP a accusé le coup voyant ainsi mise en cause sa prépondérance quasi hégémonique sur la droite et la possibilité d’une élimination de Nicolas Sarkozy dès le premier tour. Seule satisfaction pour ce dernier, malgré qu’il soit crédité d’un score d’une indigne faiblesse pour un président sortant, il reste le meilleur candidat à droite. Le PS n’a certes pas manqué l’occasion d’accuser Nicolas Sarkozy d’avoir servi la soupe au Front National en instrumentalisant les questions d’insécurité, d’immigration, d’intégration, de laïcité et d’islam, et d’avoir ainsi joué à l’apprenti sorcier. Mais il n’a pu dissimuler sa crainte que se reproduise un 21 avril 2001. D’où les appels de certains socialistes à accélérer l’agenda politique, et plus particulièrement à favoriser la candidature de Dominique Strauss-Kahn, même au prix d’une édulcoration ou d’une suppression des fameuses primaires. A gauche comme à droite, la pression devrait donc monter en faveur de candidatures uniques. Il va devenir très difficile aux Jean-Luc Mélenchon, Dominique de Villepin, Hervé Morin, Nicolas Dupont-Aignan ou Christine Boutin d’expliquer à l’opinion et surtout de vendre aux électeurs qu’une victoire de leur camp au second tour passe par leur présence au premier. Mais, à mon sens, tout cela relève de la tactique électorale et laisse pendante la seule et vraie question : que veulent exprimer les Français quand ils contribuent à la percée politique de Marine Le Pen et quelle réponse leur apporter ?
Une interrogation qui taraude
Je ne crois pas que la plupart des 20 % et plus de sondés ayant indiqué avoir l’intention de voter Marine Le Pen soit des fascistes ou des nazillons. D’ailleurs, je ne suis pas persuadée que la présidente du Front national soit fasciste ou même d’extrême-droite. Si l’on devait se référer à l’Italie ou à l’Espagne, on devine davantage chez elle une volonté de parcours à la Francesco Fini ou à la José Maria Aznar qu’à la Mussolini ou à la Franco. En revanche, je me dis qu’il ne suffit pas d’affirmer que Nicolas Sarkozy court derrière Marine Le Pen pour convaincre les Français que les problèmes soulevés par ce dernier ne se posent pas. La réalité et la franchise commandent de convenir que la plupart d’entre nous, situés à droite ou à gauche du paysage politique (ou, en Corse, dans le camp nationaliste), s’interrogent sur l’insécurité, l’immigration, l’intégration, la laïcité et l’islam. D’autant que les trois dernières questions se rattachent à une interrogation qui taraude beaucoup d’entre nous : comment conserver des racines ancestrales et une identité spécifique dans l’univers de l’économie mondialisée, du libéralisme et de la circulation toujours croissante des hommes, des idées et des religions ? Se contenter de dire que Marine Le Pen et son parti apportent de mauvaises réponses à de vraies questions est loin de conforter la dite interrogation. Or, à ce jour, les partis « bien pensants » s’en tiennent à ce discours. Ce qui me fait penser que nous n’avons pas fini de mariner dans la sauce du Front national.
Alexandra Sereni