Trafic sous influence
Depuis quand le détournement de carburant sévissait au pétrolier d’Ajaccio ? Quelle est la quantité des prélèvements frauduleux ? Quel est le montant des bénéfices et autres enveloppes générés par ce trafic ? Combien de personnes y ont participé ? Ces questions restent en suspend après les peines de prison avec sursis assorties d’une interdiction d’exercer une profession en relation avec les délits commis.
Sept personnes étaient citées à comparaître pour vol en réunion, corruption active et passive, association de malfaiteurs. Trois employés du dépôt pétrolier et quatre chauffeurs de camions-citernes. Deux d’entre eux seront jugés le 10 juin, leur cas a été disjoint en raison de l’absence d’un avocat, Me Falzoï, accidenté. Un chauffeur, âgé de 47 ans et père pour la quatrième fois à la fin du mois, a été relaxé. Il était soupçonné d’intervenir sur les plombs des volucompteurs. « J’ai ramassé un plomb bénévolement », rétorquera-t-il. Et affirme ne jamais avoir pris de carburant de façon illégale.
« Pillage organisé »
En septembre 2009, la compagnie Total, qui gérait les dépôts pétroliers de la Corse (DPLC) dans la zone industrielle du Vazzio à Ajaccio nourrit des doutes quant au fonctionnement du site. Un directeur est alors dépêché sur place pour déterminer l’origine des déperditions de carburant. En exploitant les bandes des caméras de vidéosurveillance, le nouveau chef du dépôt constate des mouvements suspects autour des cuves. Avant qu’il ait pu emmener les preuves recueillies au commissariat, il est violemment agressé un soir alors qu’il regagnait son hôtel. Une violence qui ne fait que confirmer ses doutes. Une enquête est ouverte par le parquet d’Ajaccio et en décembre 2010, sept personnes sont interpellées. Au cours des gardes à vue, l’organisation du trafic s’éclaire pour les enquêteurs. Lorsque le pétrolier se connectait aux cuves du dépôt pétrolier via un bi-plane, les chauffeurs en profitaient pour trafiquer les volucompteurs et se servir allègrement en carburant. Les prélèvements frauduleux étaient comptabilisés comme des déperditions inhérentes à ce procédé. Les chauffeurs repartaient avec une quantité de carburant supérieure à celle facturée et certains agents du dépôt recevaient une enveloppe pour fermer les yeux. Le tiers, et parfois la moitié des bénéfices, leur était reversé. « Tout le monde était au courant que le carburant était pillé depuis des années », a lâché à la barre un responsable adjoint, Attilio Foti. Lui avoue « une dizaine d’enveloppes de 500€ » chacune, pas plus. Pas de quoi financer sa Mercédès, son appartement à Ajaccio et des chalets sur le continent, comme le soupçonne le président du tribunal, Jean-Pierre Rousseau. Le magistrat s’interroge quant au train de vie confortable des accusés. Qui ont tous une explication pour justifier des comptes bancaires bien garnis et l’achat de bien matériels ou immobiliers. Un opérateur chargé de la sécurité, Sampiero Andreani, annonce avoir touché 3.800€ pour son silence et son laxisme quant aux règles de sécurité. Lui aussi savait que « tout le monde croquait ». Pierre-Yves Canigiani, gérant d’un dépôt de carburant, est suspecté d’être avec les deux autres chauffeurs à la tête de ce trafic qualifié par le président Rousseau de « pillage organisé ». Il dément. Ce sexagénaire, petit de taille, très mal à l’aise, répond du bout des lèvres aux questions. Il affirme avoir commencé à voler du carburant au dépôt pétrolier « en voyant les autres », n’avoir jamais payé un agent même s’il a promis 800€ à l’un d’eux et n’avoir tiré que 2.000€ de bénéfices. Quand le magistrat s’impatiente, il finit par admettre « 10.000 € ».
Prison avec sursis
L’enquête préliminaire ouverte ne concernait que trois mois en 2009 et a évalué la quantité de carburant indûment prélevés à 22.000 litres. L’avocat de la compagnie Total chiffre le préjudice à 40.000 litres pour cette période. « Ce n’était plus Total qui gérait le dépôt, c’était les chauffeurs, a dénoncé dans ses réquisitions le représentant du parquet, Etienne Pernin. Les chauffeurs ont pris la main mise sur le dépôt à tous les niveaux ». Insistant sur « la gravité des comportements et des infractions commises », il demande des peines de prison ferme assorties d’une interdiction d’exercer une profession en relation avec les délits dont se sont rendus coupables les accusés. Le tribunal aura été plus clément, même s’il a retenu l’interdiction d’occuper un emploi pendant deux et trois ans. Un chauffeur a été relaxé, Pierre-Yves Canigiani et Attilio Foti écopent de deux ans de prison avec sursis, les deux agents, Sampiero Andreani et Roger Alessandria ont été condamnés à 18 mois de sursis. Les DPLC avaient d’ores et déjà engagé une procédure de licenciement pour faute lourde à l’encontre des agents incriminés dans cette affaire de trafic de carburant. Qui n’a pas livré tous ses secrets.
M.K