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DANGER FACTIONS !

jeudi 5 juillet 2012, par Journal de la Corse

"Factions (Byzance)" Bleus et Verts s’allient contre le pouvoir impérial et exigent des concessions. Devant le refus de l’empereur, ils se ruent sur le quartier impérial.

Il est dangereux que le pouvoir dans la cité soit abandonné à des chefs tout puissants ou à des factions. Or, en Corse, le pouvoir repose davantage sur de fortes personnalités que sur des représentants de partis politiques. A droite, les leaders que sont Camille de Rocca Serra, Laurent Marcangeli, Marcel Franscici, Ange Santini, Sauveur-Gandolfi-Scheit et Paul Natali, doivent peu de choses à l’UMP. Celle-ci doit au contraire se plier aux choix opérés par ces « hommes forts » qui disposent de partisans davantage liés à eux par des relations personnelles, que par des considérations idéologiques. A gauche, la réalité est identique. Les leaders locaux l’emportent en influence sur les partis nationaux. Ainsi Emile Zuccarelli et Nicolas Alfonsi ont un rayonnement et une capacité de mobiliser sur leur nom qui dépassent la sphère du PRG. Simon Renucci s’est doté d’un parti sur lequel il a toute autorité. Quant à Paul Giacobbi, il est passé maître dans l’art de régner sur des agrégats politiques composés de personnalités de tous bords. Le minuscule PS est pour sa part régi, au nord, par une famille et, au sud, par un cercle d’amis. Le nationalisme n’échappe pas à cette personnalisation de la vie politique. C’est flagrant si l’on considère le parti siméoniste de la sphère autonomiste. Il est tout aussi dangereux que le pouvoir dans la cité soit en partie sous la coupe de factions. Or la forte influence des dirigeants et supporters de clubs sportifs et plus particulièrement des clubs de football, impose des choix de plus en plus coûteux aux collectivités locales. On l’a vu quand le SCB menacé de faillite a arraché plus de 2 millions de financements publics pour renflouer sa trésorerie. On le constate régulièrement à travers les crédits accordés à la réalisation d’équipements sportifs, suite aux mobilisations bruyantes de supporters et de pratiquants. On commence aussi à subir l’influence de groupes agrégeant des intérêts personnels et les faisant passer pour de l’intérêt général. En effet, on assiste à la multiplication de comités et collectifs qui revendiquent ceci ou s’opposent à cela. Enfin, il est plus que périlleux que le pouvoir dans la cité doive composer avec les violences organisées. Or il est manifeste que, chez nous, les nationalistes clandestins et la grande criminalité sont des acteurs majeurs de la vie publique.

Il y a environ 1500 ans…

Pour qui douterait que tout cela soit dangereux, ce petit rappel historique peut apporter un éclairage utile. Il y a environ 1500 ans, la sédition « Nika » (cri de ralliement signifiant « Remportons la Victoire ! ») a fait vaciller le trône de l’empereur Justinien. En effet, le 11 janvier 532, des courses de chars sont disputées sur "l’Hippodrome de Constantinople" hippodrome de Constantinople en présence de l’empereur et de son épouse "Théodora, femme de Justinien" Or, à Constantinople, les « sociétés de courses » sont aussi des factions qui influent sur les affaires publiques et encadrent la population avec des milices armées. Les Bleus (grossistes, riches marchands, armateurs, marins, propriétaires de grands ateliers, joailliers...) dominent la vie publique, jouissent du soutien du couple impérial et exploitent économiquement les Verts (artisans, boutiquiers, débardeurs, vendeurs ambulants, maraîchers, pêcheurs...) Aux violences des nervis des Bleus, répondent celles des milices des Verts. Ce 11 janvier, à l’issue des courses de chars, les Verts conspuent l’Empereur et son épouse (photo), quittent les gradins et se répandent dans la ville. Pour éviter que l’émeute dégénère, Justinien fait exécuter des meneurs Verts, mais aussi par erreur un chef des Bleus. Cette bourde provoque un événement inattendu : Bleus et Verts s’allient contre le pouvoir impérial et exigent des concessions. Devant le refus de l’empereur, les insurgés se ruent sur le quartier impérial au cri de Nika, pillant des entrepôts, incendiant des casernes et massacrant des soldats et des fonctionnaires. Le 14 janvier, Justinien cède mais l’émeute a déjà tourné à l’insurrection. Le jour suivant, la basilique Sainte-Sophie (photo), le Sénat et le Palais impérial sont incendiés. Le 18, la ville est en flammes. Réunies dans l’Hippodrome, les deux factions désignent même un nouvel empereur réputé favorable aux Verts. Justinien songe à s’enfuir. L’impératrice Théodora va cependant retourner la situation. Elle achète les chefs des Bleus et, avec l’aide de cette faction, l’armée d’Orient rentrée d’une campagne victorieuse contre les Perses, encercle l’Hippodrome et y massacre entre 30.000 et 80.000 rebelles. Le 19 janvier tout est fini. Y compris le pouvoir des factions.

Alexandra Sereni

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