Ces derniers temps, les signes de forces centrifuges fragilisant l’unité nationale des Etats européens, n’ont pas manqué.
Sous la houlette de l’Allemagne, l’Union Européenne veut imposer, sous forme de remèdes de cheval et dans la douleur des peuples, un désendettement aux 27 pays membres. Ceci fait peser des risques de plus en plus préoccupants d’explosion sociale et d’avènements de régimes autoritaires. Mais la politique de l’Union Européenne fait courir un autre risque aux Etats : celui de la fragmentation. En effet, le rejet de l’austérité vient apporter de l’eau au moulin des mouvements autonomistes et indépendantistes. A leurs traditionnelles revendications d’ordre identitaire, ils peuvent désormais ajouter le refus de ployer sous le joug d’Etats paraissant eux-mêmes être à la botte des technocrates de Bruxelles et des intérêts financiers d’une mondialisation libérale. Ces derniers temps, les signes de forces centrifuges fragilisant l’unité nationale des Etats européens, n’ont d’ailleurs pas manqué. En Belgique, un parti séparatiste (Alliance néo-flamande) a réalisé une importante percée lors des élections municipales (plus du tiers des électeurs en Flandre) et conquis la ville d’Anvers. En Espagne, le président de la communauté autonome catalane présente les élections régionales devant avoir lieu le 25 novembre prochain, comme une étape préparatoire à un référendum sur l’autodétermination de la Catalogne. En Espagne également, les partis abertzale se sont emparés des deux tiers des sièges du Parlement régional basque. Au Royaume Uni, le Premier ministre a du accepter l’organisation, en Ecosse, d’un référendum qui portera sur l’indépendance de cette vieille nation. En Corse, les mouvements autonomistes et indépendantistes qui représentent plus d’un tiers des électeurs, accentuent leur pression sur Paris pour obtenir toujours plus de pouvoir local et de reconnaissance de droits spécifiques dans différents domaines (langue, culture, fiscalité, transports…) Les mouvances nationalistes précitées n’ont cependant ni les mêmes objectifs, ni les mêmes moyens d’action politique. En Espagne, à la différence du Pays basque, la Catalogne n’a pas connu de violences indépendantistes à une grande échelle. De plus, au Pays basque et en Catalogne, le nationalisme reste divisé entre autonomistes et indépendantistes, entre mouvements de gauche et de droite. En Ecosse, le sursaut nationaliste intervenu ces dernières décennies, résulte davantage d’un rejet de la vision centralisatrice des premiers ministres conservateurs britanniques (Margaret Thatcher, David Camerone) et d’une volonté de ne pas être spolié de la manne pétrolière, que d’un réel projet séparatiste. En Flandre, le nationalisme sécessionniste reflète le rejet d’un Etat belge qui n’a jamais été qu’une construction imposée (Congrès de Vienne, 1815) et d’oppositions aussi séculaires qu’insurmontables entre Flamands et Wallons. En Corse, comme en Espagne et en Catalogne, le nationalisme comprend des autonomistes et des indépendantistes.
A qui le tour ?
Toutes ces mouvances nationalistes aussi différentes soient-elles, reposent toutefois sur de mêmes socles revendicatifs mêlant l’affirmation identitaire (langue, culture, histoire, espace territorial) et la défense d’intérêts spécifiques. Ces socles leur assurent une assise populaire significative mais encore insuffisante. Les plans d’austérité adoptés ces derniers temps par les Etats, permettent à ces mouvances d’ajouter à leur discours traditionnel le refus de payer pour les autres, et d’espérer ainsi glaner le soutien de publics jusqu’alors opposés ou indifférents à leurs messages. A un nationalisme tirant ces racines d’un patriotisme (sentiment d’appartenance dicté par l’amour d’une terre et l’alliance autour de valeurs communes), s’ajoute un nationalisme du superbe isolement prenant force dans le rejet de la mondialisation des enjeux et le refus de l’autre. Les Ecossais rechignent à partager les revenus de leur richesse pétrolière. Les Catalans ne veulent plus partager avec les autres régions, le revenu que leur assure leur économie représentant un cinquième de la production espagnole de richesses. Les Flamands refusent de payer pour les Wallons. Il convient de noter que la démarche européenne favorise encore les forces centrifuges que suscitent déjà son choix de l’austérité, en soutenant économiquement les régions (politiques d’aide et de cohésion) et en reconnaissant le particularisme culturel et linguistique (Charte européenne des langues régionales et minoritaires). Il n’est cependant pas écrit que l’appoint d’un nationalisme du superbe isolement suffira à rendre majoritaires les nationalismes, à les faire accéder au pouvoir et à leur permettre de réaliser leurs projets autonomistes, confédéraux ou indépendantistes. En effet, les populations séduites par le superbe isolement, sont le plus souvent versatiles. Leur vote nationaliste est essentiellement généré par un réflexe protestataire (antisystème, antimondialisation) ou des sentiments xénophobes ou de repliement résultant des peurs et frustrations que génère la crise économique et sociale. De plus, étant souvent en situation de fragilité ou de précarité, ces populations restent perméables aux politiques de solidarité que mettent en place les Etats. Il convient aussi de noter que l’Union Européenne produit aussi des effets centripètes. En effet, créer un Etat provoque la sortie de l’Union et la perte des aides européennes, et la demande d’adhésion à l’Union Européenne suppose d’accepter à nouveau des règles dont on voulait s’affranchir. Cependant le risque de fragmentation existe bel et bien. L’ancienne Yougoslavie s’est disloquée en sept entités, la Tchécoslovaquie en deux. Alors, à qui le tour ?
Pierre Corsi