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Criminaliser la folie

jeudi 11 août 2011, par Journal de la Corse

Fin 2008, après le meurtre d’un étudiant à Grenoble par un malade enfui de l’hôpital, un projet de loi a été initié par le président de la République, visant l’hospitalisation d’office de personnes souffrant de troubles mentaux. La loi a été votée le 22 mars dernier par 266 voix contre 147 à l’Assemblée, et a été en navette parlementaire, le Conseil constitutionnel ayant censuré deux articles du Code de santé publique (CSP). Cette loi est loin de faire l’unanimité. Pourtant, mi-juin, le Sénat l’a adoptée en deuxième lecture, malgré les protestations des professionnels et de l’opposition, seule la majorité UMP et les centristes ayant voté favorablement. Un passage en force : le sécuritaire l’emporte encore.

Controverse

Ce projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, qui permet notamment les soins sans consentement à domicile, a été dénoncé comme un texte sécuritaire par l’ensemble des syndicats de psychiatres et l’opposition. Quelque 80 000 personnes sont hospitalisées sous contrainte chaque année, soit à la demande d’un tiers (65 000 cas) ou d’office en cas d’atteinte « à la sûreté des personnes » ou « à l’ordre public » (15 000 cas). Les deux articles censurés par le Conseil constitutionnel permettent l’interdiction à un préfet de maintenir le malade hospitalisé au-delà de 15 jours sans l’intervention d’un juge des libertés et de la détention (JLD). Le préfet peut, par ailleurs, ordonner l’hospitalisation d’office même si un certificat médical estime que ce n’est pas nécessaire, mais il sera désormais tenu de lever la privation de liberté si un second certificat médical–établi dans les 24 heures suivant l’admission–, l’estime nécessaire. Outre ces modifications, le texte de loi reste touffu et technique, car il mélange santé, liberté et sécurité. Le caractère « sécuritaire » est particulièrement dénoncé, puisque la loi instaure la possibilité d’ordonner des soins sans consentement à domicile, d’hospitaliser d’office en cas de « péril imminent » une personne isolée, et prévoit une période d’observation de 72 heures, qualifiée de « garde à vue psychiatrique » par ses opposants. Il renforce le dispositif de suivi pour les personnes déclarées irresponsables pénalement ou ayant séjourné dans une UMD (unité pour malades difficiles).

Hospitalisations psy

Chaque année en France, 10 000 à 15 000 personnes jugées dangereuses sont hospitalisées d’office (HO). Une décision prise par le préfet et sur avis médical, dans un souci d’ordre public. Le recours aux procédures d’urgence reste exceptionnel dans l’île, selon la commission départementale des hospitalisations psychiatriques de Corse (CDHP). On dénombrait en 2009, 33 HO en Corse-du-Sud (+22 % sur un an) et 50 HO en Haute-Corse (-24% sur un an). Le 17 juillet dernier, un prisonnier placé en hospitalisation d’office s’est évadé de l’hôpital de Castelluccio. Une enquête administrative a été ouverte sur les conditions de cette évasion, « notamment sur les conditions de prise en charge psychiatrique d’un détenu au regard des contraintes de sécurité », ainsi que l’a précisé Dominique Blais, Directeur Général de l’Agence Régionale de la Santé. L’ARS a également indiqué qu’une mission d’audit approfondie sur les conditions de la prise en charge des détenus hospitalisés d’office débutera à la mi-août et sera conduite par une chargée de mission pour les questions de sécurisation des établissements psychiatriques auprès du ministère de la Santé (Direction générale de l’offre de Soins). Enfin, l’ARS convoquera début septembre la commission santé justice installée le 8 février 2011 dernier. Ces faits viennent donner raison aux professionnels et syndicats qui s’opposaient à la réforme, car ils avaient peur qu’il y ait un « amalgame entre maladie mentale et délinquance », ainsi que l’avait exprimé le docteur Angelo Poli, président du Syndicat des Psychiatres d’Exercice Public (SPEP). Car le psychiatre rappelle que « la psychiatrie est la seule discipline qui peut imposer à quelqu’un de se soigner s’il est malade ». Car la base est aussi le respect des libertés individuelles et de la dignité des personnes. Quoiqu’il en soit, le psychiatre reste au centre du dispositif.

Maria Mariana

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