L’éditorial d’Aimé Pietri
Jacques Andreani, ambassadeur de France à Washington au milieu de la dernière décennie du siècle dernier, ne savait pas, pas plus que son père, né à Cherbourg, qu’elles étaient ses véritables origines. Il lui fallut entreprendre des recherches pour découvrir que ses ancêtres avaient leurs racines à Croce, un village haut perché dans la vallée d’Ampugnani, au pied du San Petrone. L’Excellence s’est donc rendue dans cette localité humer les senteurs de son arbre généalogique et se persuader qu’il n’était pas complètement desséché, « incanucchjitu » comme on dit là-bas. Mais il y a, à travers le monde, des « compatriotes éminents » qui ne se posent pas les mêmes problèmes existentiels. Ce fut le cas, il n’y a pas très longtemps, d’un certain Lusinchi, qui accéda à la magistrature suprême du Venezuela. Bastiais et Toscans se mirent à le revendiquer simultanément alors que le président ne se voulait que Vénézuélien et rien d’autre. Avoir un chef d’état, un ambassadeur, un grand écrivain ou une vedette du show biz parmi ses proches n’est pas à dédaigner et que des Corses cherchent à les attirer dans leur parentèle n’est pas un exercice illégal. Mais que l’on veuille les sacrer Corses malgré eux, pour en tirer quelque fierté « nationale », voilà qui est pour le moins affligeant. Car la Corse a-t-elle vraiment besoin d’intégrer ces apatrides illustres pour améliorer son image de marque et peuvent-ils encore peser sur son destin ? En réalité leur présence au sein de la communauté insulaire, à moins qu’ils soient immensément riches, ce qui n’a jamais été le cas, n’est pas de nature à en modifier les structures ou les comportements. Seuls les journaux d’ici et d’ailleurs, d’ailleurs surtout, pourraient, à l’occasion, en faire leurs choux gras. Et ce ne sont pas les manchettes qui ont manqué à Antoine Fornelli, originaire de Bastia, qui se fit sacrer, en 1972, roi de Tanna, une petite île de l’océan Pacifique, placée sous condominium franco-britannique, avant de se faire expulser manu militari par les Anglais. Mais ne serait-il pas préférable de mettre en exergue des gens bien de chez nous et qui n’ont pas besoin d’aller jusqu’au bout du monde pour y prouver leurs qualités. Ceux-là, sans conteste, valent beaucoup mieux qu’une diaspora de carnet mondain.