La marche contre la résignation aurait montré qu’il existe des volontés et des aspirations allant dans le sens d’une société n’acceptant pas la loi du révolver. Elle n’aura pas lieu, dommage.
La violence criminelle qui ensanglante la Corse depuis des décennies et s’est manifestée avec une particulière férocité ces derniers mois, a provoqué la réaction de trois femmes. Elles ont d’abord exprimé leur indignation et leur colère sur un réseau social. Puis, elles ont appelé à une « marche contre la résignation », allant jusqu’à énoncer une date et un lieu : le samedi 26 novembre à Bastia. Elles ont aussi rédigé un petit manifeste précisant le sens de leur initiative. Elles ont d’abord affiché un préalable, la marche devrait avoir lieu « sans récupération politique, aucune. » et « sans esprit partisan », avec le seul but de « montrer que la Corse en a assez ». Elles ont ensuite dénoncé un silence et une inaction ressemblant à de la résignation. Elles ont aussi mis en cause une île « gangrénée » dont les élus sont « capables de monter au créneau pour une erreur d’arbitrage sur un terrain de foot et incapables de réagir avec force après des années de violence ». Enfin, elles ont positionné leur initiative. Indiquant les enjeux : « Pour que les pouvoirs publics fassent enfin quelque chose face à cette spirale infernale (…) Nous ne voulons pas avoir l’impression d’être à Bogota quand nous sortons de chez nous. Notre marche ne s’effectuera que si elle fédère des femmes et des hommes dont le seul désir est de dénoncer la violence et de montrer un autre visage de la Corse ». Mais évoquant aussi les éventuelles limites : « Nous agirons en fonction de vos réactions. Nous voulons un grand mouvement citoyen avec des femmes, des hommes, des enfants. Nous voulons être nombreux, c’est la condition sine qua non pour notre rassemblement. Si nous sommes peu suivies eh bien nous continuerons à rester chez nous avec notre résignation ».
Eviter toute équivoque
Quelques jours après, les trois femmes ont jeté l’éponge. Elles ont renoncé « pour cause de récupération ». Le début d’audience et de sympathie qu’avait rencontré leur initiative n’a pas suffi à les convaincre de poursuivre plus avant. Elles ont eu raison mais dommage. Pour ma part, j’aurais soutenu leur initiative et serais descendue dans la rue à leurs côtés. Certes, je ne me faisais pas beaucoup d’illusions sur la portée efficiente d’une marche. Mais elle aurait eu le mérite de montrer qu’au sein de la population, il existait des volontés et des aspirations allant dans le sens d’une société n’acceptant pas la loi du révolver. Elle aurait aussi placé l’Etat et les élus devant leurs responsabilités. C’était d’ailleurs là tout l’intérêt d’un apolitisme proclamé que d’aucuns se sont empressés de décrier ou moquer. En effet, pour exiger de l’Etat qu’il fasse son devoir, il n’était pas question de défiler sous des bannières et drapeaux affichant des appartenances idéologiques ou partisanes. L’esprit républicain, le sens de l’intérêt général et l’honnêteté revendiquant une société de droit et de paix sont politiquement transversaux, comme d’ailleurs le recours à la violence, la tentation de mettre l’île en coupe réglée et la voyoucratie. En outre, il n’était pas possible de défiler avec tous les élus car certains éprouvent des difficultés à s’affranchir de certaines proximités. Le faire eût fait perdre toute crédibilité et donné quitus à des personnes publiques qui, sans pour autant sortir des clous, ferment les yeux sur les agissements « border line » ou les réputations sulfureuses d’amis d’enfance, de classe, de régiment ou de chasse, et quelquefois les aident un peu. Avant de descendre dans la rue avec tous les élus, il conviendrait que ceux-ci, sans pour autant renier des liens d’amitié privée que chacun est en droit d’entretenir, prennent garde à éviter toute équivoque.
Alexandra Sereni