La justice semble une affaire trop sérieuse pour être parfois laissée aux magistrats. C’est tout au moins la morale de ce procès ajaccien mettant en scène un procureur acharné, deux enseignants éperdus, une cour attentive, un recteur solidaire et une brochette d’avocats digne d’un procès d’assises. Ce procès qui laisse l’observateur partagé entre le rire, la pitié et la colère, pose tout de même une question essentielle : à quoi sert la justice ?
Une affaire de l’enquête essentielle
Il ne s’agissait pas d’une affaire mais de trois imbriquées les unes dans les autres à cause du désordre. Il a fallu l’obstination ahurissante e deux procureurs, du travail étonnant deux juges d’instruction et de l’intervention tragico-grotesque de la Brigade de répression du grand banditisme pour révéler aux citoyens de Corse que la justice peut tout simplement servir une cause a priori étonnante : se rendre totalement impopulaire et jouer contre son propre camp, c’est-à-dire celui des citoyens. Car nous vivons dans une île où les problèmes, les vrais ne manquent pas. Je cite dans le désordre plasticages en tous genres, grande délinquance, assassinats, drogue etc. etc. Et voilà que la justice, en pleine crise nationale pour manque de moyens, consacre une énergie colossale à tenter de démontrer que deux enseignants ont remonté d’un point le résultat d’un candidat au bac. Sous la houlette du procureur Thorel, la justice n’a pas hésité à mettre tous les fonctionnaires du Rectorat sur écoute pendant deux ans. Les téléphones personnels de dizaines de personnes ont également été espionnés sur commission rogatoire du juge Bonifassi (celui qui avait également ordonné l dictée des habitants de Bastelica et l’arrestation publique d’un responsable nationaliste à Sartène). Les deux enseignants, visiblement présumés coupables, ont été mis en garde à vue et interrogés comme par les fins limiers de la Brigade de lutte contre le grand banditisme qui, si on en juge par leur brutalité verbale, n’avaient rien d’autre à se mettre sous la dent ce qui est un comble en Corse. Une toute jeune professeur (le Fium’Orbu était son premier poste) et son collègue, ont été interrogés sans relâche par nos experts en grande criminalité (il fallait au moins ça). Et pour faire plier ces crapules chevronnées, les policiers n’ont pas hésité à les priver de toute hygiène. Le procureur Thorel, dont le souvenir est ici extrêmement ténu, a passé le flambeau au procureur Pison qui a su se montrer à la hauteur de son prédécesseur.
Un vent judiciaire
La cour, sous la présidence du juge Rousseau, a rempli sa tâche avec rigueur démontrant ainsi que la justice peut avoir plusieurs visages dont certains positifs. Elle a ainsi permis l’audition d’un recteur qui, malgré les pressions imaginables, n’a jamais renoncé à se montrer solidaire de ses fonctionnaires. C’est son témoignage qui a permis au procès formidable de prendre une tournure nouvelle. Michel Barrat a très simplement expliqué le fonctionnement d’un jury de bac, sujet qui, visiblement n’avait guère intéressé ni les procureurs, ni les magistrats instructeurs pas plus que les policiers. Or le recteur avait eu l’idée de rechercher le PV de ce jury. Et, surprise le document démontrait sans contestation possible que c’était le jury et non les deux enseignants qui avaient relevé la note du lycéen. Et le procureur Pison de s’indigner de ne pas avoir eu accès à ce document avant que celui-ci ne soit sorti dans la presse. La triste vérité et que l’enquête qui a dû coûter quelques centaines de milliers d’euros aux contribuables, n’avait pas permis de simplement imaginer l’existence d’un tel document qui aurait tout simplement empêché ce gaspillage financier et moral. Et quand le procureur dénonce avec aigreur le désordre qui aurait régné au sein du rectorat il oublie que ses propres services ont mis plusieurs jours à ouvrir le courrier dans lequel se trouvait le fameux PV.
Lâcheté et incompétence
Le président du tribunal a finalement ordonné un complément d’enquête afin d’intégrer à la procédure le fameux PV qui disculpe les deux enseignants. Et ce n’est que justice si la justice consiste à rechercher la vérité et non à régler des comptes à n’importe quel prix. Car cette affaire se termine par une enquête réduite en miettes, un procureur ridiculisé par son seul entêtement et le sentiment que la justice peut devenir un facteur de désordre alors qu’elle est censée l’éliminer. Ce procès pose également celui de la justice locale. Je l’ai déjà écrit : je suis un farouche partisan d’une justice normalisée et capable de condamner ses propres délinquants sans l’apport (d’ailleurs inutile et néfaste) des juridictions d’exception. Dans cette affaire, la lâcheté le dispute à une forme d’incompétence. Lâcheté quand le recteur Pardo (un fonctionnaire d’autorité présent en Corse un jour par semaine) saisit la justice alors que la règle aurait voulu qu’il saisisse d’abord l’inspection de l’éducation nationale quitte à transmettre les conclusions à la justice. Acharnement quand le procureur Thorel décide « de se faire » par tous les moyens Dominique Martinetti, l’homme qu’il soupçonne d’avoir ordonné la fraude sans en avoir la moindre preuve. Or la justice n’existe que parce qu’elle est un médium essentiel à l’équilibre de la société. Encore faut-il qu’elle se montre à la hauteur de ses ambitions. Si le procureur s’était donné la peine de s’intéresser au sujet qu’il traitait il aurait appris que le ministère de l’éducation lui-même donnait des consignes orales pour que les départements en grande difficulté soient traités avec plus de mansuétude que les quartiers riches des grandes villes et, ce à fin, de masquer la disparité scolaire qui atteste bien évidemment de l’inégalité sociale. Enfin, la pratique de l’harmonisation est une règle dans tous les jurys tout simplement pour éviter les effets pervers de la subjectivité des corrections individuelles.
Justice d’exception contre justice normale
La conclusion est que la justice en Corse est pervertie par les juridictions spécialisées et la notion de présumé coupable plébiscité par le président de la république et son ministre de l’intérieur. Les plus grosses affaires (terrorisme, abus de biens sociaux et grand banditisme) échappent à la justice locale qui n’a plus à s’occuper que des affaires certes sérieuses mais subalternes aux yeux de nos magistrats fraîchement arrivés du continent. Il en découle une certaine amertume et une capacité étonnante à confondre l’essentiel et le subalterne qui mène à la criminalisation de la société toute entière. En Corse, nous avons besoin d’une justice implacable mais compréhensible rendue par des femmes et des hommes qui vivent ici et se sentent responsables du devenir de notre société. Je ne crois pas au sentiment corse des procureurs Thorel et Pison. Mais je les crois maintenant capables d’avoir sacrifié l’intérêt de la justice à un entêtement coupable. La raison et la vérité commandaient d’arrêter ce grotesque acharnement ce qui n’a pas été fait. Dans une communauté encline à dénigrer tout ce qui touche à une autorité supérieure, c’est un mauvais coup porté à l’intérêt général.
Gabriel Xavier Culioli