Une île en vrac
Difficile d’écrire sur la Corse quand le danger d’une catastrophe nucléaire menace, quand une coalition occidentale se lance dans une opération coloniale contre un tyran grotesque qui avait proposé de négocier son départ, quand l’arc méditerranéen de l’Europe s’enfonce dans la crise. Difficile d’écrire sur la Corse sauf si on veut bien percevoir dans les mutations et les drames qui frappent notre île le reflet des changements gigantesques qui affectent le monde.
La chute de la maison Rocca Serra
Je ne ferai donc qu’effleurer le drame qui se joue au Japon et qui déborde sur le reste du monde. Les principales victimes sont japonaises et paient le prix d’une incurie stupéfiante des autorités et de la société privée en charge de la centrale de Fukushima : rapports faussés, statistiques erronées, incidents masqués. Ce crime a pour première cause la recherche de la rentabilité à n’importe quel prix. Il est grand temps que l’humanité se rende compte qu’avec le nucléaire la mort est inévitablement au bout du chemin. J’évoquerai à peine l’offensive alliée contre Kadhafi sinon qu’on finit par éprouver une sorte de dégoût à être complice de cette politique de la canonnière contre un tyranneau qui, un mois avant les émeutes recevait un diplôme de bonne conduite signée de la main du FMI. La démesure des moyens utilisés par les forces occidentales va finir par transformer Kadhafi en héros du monde arabe. Je note enfin que des atrocités sont aussi commises en Syrie, au Yémen ou au Bahreïn sans que les alliés évoquent des mesures de rétorsion. La défense des droits de l’homme par l’Occident a de solides relents de pétrole. L’injustice des sociétés modernes finit par renforcer les partis populistes qui à l’instar du Front national donnent le sentiment d’être les seuls à prendre en compte le réel bien loin des guerres picrocholines des barons de droite et de gauche. Le Front républicain me paraît une absurdité politique. Soit ce parti est une ligue armée qui met en danger la république et il faut tout de suite prononcer son interdiction. Soit c’est un parti situé à l’extrême-droite mais respectueux des règles communes et il faut cesser de le diaboliser et combattre ses idées pied à pied. La gauche doit être cohérente. Elle ne peut accuser l’UMP d’utiliser les mêmes thèmes que le Front national et exiger un pacte commun contre ce parti. C’est absurde et cela ne fait que renforcer l’idée qu’il existe en France une ploutocratie réunissant la gauche et la droite dont la seule raison d’être est sa propre survie. Je n’aime pas les idées du FN pas plus que celle de M. Guéant. Mais je leur reconnais le droit d’exister. J’aurais également voulu écrire sur la glorieuse marche de Jean Christophe Angelini vers des victoires futures. Je crains néanmoins d’obscures coalitions contre nature afin de lui barrer la route. N’a-t-on pas vu le maire de Conca, élu sur la liste de Paul Giacobbi se prononcer ouvertement pour Camille de Rocca Serra ? Le nationalisme modéré est aujourd’hui la force qui fait peur. La maison Rocca Serra s’écroule année après année. Ce clan est désormais usé jusqu’à la corde et il cède la place à une autre force qui pourrait bien, elle aussi, à terme, se transformer en force claniste. Qu’on le veuille ou non, ce clientélisme est ancré dans notre culture. Il s’agit simplement de le moraliser en mettant les compétences des uns et des autres aux postes de commande.
La mort au rendez-vous
Le sujet essentiel de la semaine me semble bien être aujourd’hui l’assassinat du maire de San Andria di Cutone, Dominique Domarchi. Un mort de plus, me dira-t-on. Nous devons refuser de nous habituer à ces assassinats à répétition. Dominique Domarchi est le cinquième maire à périr de mort violente sans que les auteurs de ces crimes aient été retrouvés. Mais il est aussi le cinq centième depuis vingt ans à mourir ainsi. Et qu’on ne vienne pas nous bassiner une fois encore avec la mafia ou tout autre complot. La vérité est pire encore. Aujourd’hui en Corse on tue pour des broutilles : une histoire sentimentale, une place de voiture, une gifle, une bagarre. On tue pour des riens parce que notre société est malade de ne pouvoir mettre des mots sur ses maux. Une partie de notre jeunesse en manque d’idéal croit qu’elle va trouver une identité grâce aux flingues et à l’alcool. De l’aventure nationaliste, elle n’a retenu que la violence. De l’autre côté, l’état pense s’affirmer à coups de structures spéciales, de manipulations et d’interventions d’une brutalité inouïe. Je crois que les séances de l’assemblée sur la violence ne servent à rien (la preuve) sinon à repousser les véritables solutions qui seront nécessairement longues et douloureuses. La première est à coup sûr une justice locale sévère et juste. La deuxième est l’éducation dès le plus jeune âge des enfants à un véritable civisme. La troisième est que nos élites locales donnent l’exemple. Nous n’avons pas grand-chose à attendre d’un état qui, parce qu’il est en perte de vitesse, joue l’illusion et l’apparence contre la vérité et le fond. C’est à la Corse d’apprendre à guérir de ses propres maux. C’est donc à nous de les dénoncer.
Gabriel Xavier Culioli