Le sens de la peine est au moins autant de punir que de prévenir la récidive et préparer la réinsertion.
En juillet dernier, 67 373 détenus peuplaient les prisons. Un record ! La politique du « tout carcéral » mise en application par Nicolas Sarkozy et ses amis, à défaut de libérer la rue de la « racaille » après un « bon coup de karcher », a rempli plus qu’à ras bord les établissements pénitentiaires. Fin 2011, on comptait déjà 65.262 détenus pour 57 255 places. La situation créée dans les prisons par une politique pénale privilégiant l’incarcération et un manque criant de moyens, représente une honte française ! La superficie de vie d’un détenu est estimée entre 2,4 et 4 m². Deux tiers des établissements pénitentiaires sont en état avéré de surpopulation et 7% d’entre eux abritent deux détenus pour une seule place. On refuse même du monde. En effet, la majorité sarkozyste s’était donné comme objectif de ramener de 87.000 en 2011 à 35.000 en 2017, le nombre de peines de prison en attente d’exécution. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ne cache d’ailleurs pas son inquiétude. Cette autorité administrative indépendante instituée par le législateur - nommé pour une durée de six ans sans qu’il puisse être ni révoqué, ni renouvelé, le Contrôleur ne reçoit d’instructions de personne - a préconisé, au début de l’été, une loi d’amnistie des peines « très légères » prononcées avant 2012 et non exécutées. Elle a aussi souligné qu’incarcérer des condamnés avec une ou plusieurs années de retard, a trop souvent pour résultat de ruiner l’insertion de ceux qui, postérieurement au jugement, ont repris une vie professionnelle et se sont socialement réinsérés. Enfin, elle a dénoncé une promiscuité, ainsi que des accès moins aisés au travail, aux activités éducative, sportive et culturelle, au téléphone et aux parloirs, faisant de la prison surpeuplée un système générant la récidive.
Rupture avec l’ère Sarkozy
Cette situation aussi honteuse qu’ubuesque a conforté la Garde des sceaux, Christiane Taubira, dans sa volonté de changer de politique. Dans une circulaire récemment adressée aux Parquets, elle a fixé les grandes lignes d’une action visant à limiter le recours à l’emprisonnement et à réduire ainsi la surpopulation carcérale. La nouvelle politique pénale devrait donc rompre avec celle de l’ère Sarkozy marquée par des peines plancher, une automaticité des procédures et une volonté de réprimer aboutissant à ignorer le caractère spécifique de la situation de chaque délinquant. Les grandes lignes de la nouvelle politique seront de tenir compte de la personnalité de l’accusé et des circonstances de la survenance des délits. Un usage plus mesuré de la comparution immédiate et un recours limité aux peines planchers devront devenir la règle. La garde des Sceaux considère en effet que le recours à l’incarcération relève de situations qui l’exigent strictement, et qu’il convient de faire de l’aménagement des peines d’emprisonnement une priorité en incitant les tribunaux à les prononcer au moment des jugements, sans attendre l’intervention du juge d’application des peines. Elle demande aussi aux procureurs que les peines anciennes ou inférieures à six mois, soient réexaminées et que soit envisagée leur exécution sous une modalité adaptée. Accusée de vouloir vider les prisons et favoriser les délinquants, Christiane Taubira argumente et rend coup pour coup. Elle répond ne pas opposer l’incarcération nécessaire et l’aménagement de courtes peines, faire confiance aux magistrats et refuser de contraindre les juges à prononcer des peines d’incarcération. Elle ajoute que le sens de la peine est au moins autant de punir que de prévenir la récidive et préparer la réinsertion. Enfin, elle fait remarquer que, ces dix dernières années, 50 lois pénales ont généré de plus en plus de peines de prison ferme, sans pour autant inverser vers le bas la courbe de la délinquance et de la récidive. Cette conviction humaniste contre la case prison rappelle celle qui animait Robert Badinter contre la guillotine. J’aime.
Alexandra Sereni