Claude Guéant a remplacé Brice Hortefeux comme ministre de l’intérieur. Et pourtant ils paraissent interchangeables. Sa tirade devant un syndicat étudiant d’extrême-droite sur le choc des civilisations est de premier abord l’expression d’une primitivité qui frôle l’imbécillité absolue. Au second regard, c’est une carotte pour attirer vers Nicolas Sarkozy ceux qui seraient tentés de voter Front national.
Dans le sillage des républicains américains
L’idée de choc des civilisations est devenue un concept "populaire" lorsque le président Bush junior l’employa pour justifier la seconde guerre du Golfe. Il ne l’avait évidemment pas inventé (a-t-il d’ailleurs jamais été capable d’inventer quoi que ce soit fut-ce l’eau tiède ?). Il l’avait emprunté à Samuel Huntington décédé en 2008 à l’âge de 81 ans. Ce politologue américain avait écrit début des années 1990 Du Choc des civilisations devenu un ouvrage de référence pour les bellicistes américains après le 11 septembre 2001. “Si le XIXe siècle a été marqué par le conflit des États-Nations et le XXe par l’affrontement des idéologies, a-t-il écrit, le siècle prochain verra le choc des civilisations car les frontières entre cultures, religion et race sont désormais des lignes de fracture.” Pour Huntington, le problème de l’Occident n’est pas l’islamisme, mais l’Islam. Il érige donc la notion de civilisation en horizon indépassable de la politique. Il nie de fait toutes les positions transversales qui traceraient des passerelles entre les religions, les cultures, les peuples. Ce faisant, il tourne ainsi le dos à des historiens ou des philosophes qui tels Raymond Aaron ou Fernand Braudel (et aujourd’hui Edgar Morin) ont tenté d’expliquer le monde à travers sa complexité et ses inter relations plutôt que par ses oppositions et ses conflits. C’est cette idéologie essentiellement négative qu’ont adoptée les néocons américains pour justifier la seconde guerre du Golfe arguant du choc des civilisations et décrivant l’offensive américaine comme une nouvelle Croisade contre le mal (terme d’ailleurs repris en face par les Islamistes chiites ou sunnites pour justifier leur propre terrorisme).
Huntington adversaire complémentaire de Francis Fukuyama
Le commencement de cette nouvelle croisade ne se situe pas le 11 septembre 2001 mais le 9 novembre 1989 quand le mur de Berlin s’effondre et avec lui l’empire soviétique… Francis Fukuyama, philosophe, économiste et chercheur en sciences politiques américain, revisite Hegel. Pour lui, l’Histoire s’achèvera le jour où un consensus universel sur la démocratie mettra un point final aux conflits idéologiques. La fin de la guerre froide signifie donc la disparition de l’histoire au sens conflictuel du terme. Huntington fourbit les armes : à l’ordre bipolaire de la Guerre froide, succède un désordre multipolaire dans lequel coexistent, pacifiquement ou pas, huit blocs qu’Huntington appelle “civilisations” définissant un monde de blocs conflictuels. Sa définition des civilisations prête d’ailleurs à polémique puisqu’il mélange celle de peuple, de culture voire de pratiques religieuses. Ensuite, il évince la dynamique interne de ces blocs. Or la plupart des "civilisations" ont par le passé disparut à cause de leurs contradictions internes causées par leur propre évolution et le contact avec la réalité extérieure. Car Huntington, Guéant ou tous les fronts nationaux du monde ne pourront jamais ignorer un fait fondamental : la vie n’est que mélange et métissage.
Les valeurs du bloc occidental
Pour justifier sa tirade, Claude Guéant a affirmé la supériorité des valeurs humanistes de la démocratie. Le propos est vrai en soi (la démocratie est préférable à la dictature) mais faux dans la réalité. Car il nie le développement inégal des sociétés humaines souvent d’ailleurs à cause des menées bellicistes de l’Occident notamment à travers le colonialisme. Au passage, il semble refuser aux trois quarts des sociétés humaines la possibilité d’évoluer vers de tels idéaux sans l’ingérence militaire occidentale. Il oublie que ces valeurs n’existent que grâce à des conflits meurtriers au sein même de la "civilisation" occidentale entre le progrès et la réaction. L’Inquisition appartient-elle à la "civilisation" chrétienne ? L’antisémitisme pose le problème des "valeurs occidentales". Les droits de l’homme, invoqués par Guéant, ont été moqués par ses propres amis quand il s’agissait de justifier les acoquinages avec des dictateurs friqués. Enfin la fameuse civilisation "occidentale" ne se priva pas de massacrer au nom de ses valeurs intrinsèques. Ce fut Byzance mise à sac par les Croisés mais aussi les pogroms au nom de la Croix ou encore les fusillades des Communards ou la répression menée contre les ouvriers revendiquant les 8 heures quotidiennes au nom de l’ordre et du profit. Ce furent aussi l’esclavage et la traite des Nègres c’est-à-dire la marchandisation précoce d’êtres humains au nom du profit. Pour ce qui concerne la Corse, rappelons-nous que la conquête de l’île avait pour justification le choc de la civilisation multiséculaire du royaume de France avec "la Corse agreste et inculte". L’avenir est à la rencontre des différentes cultures et aux échanges certainement pas à l’édification de citadelles qui, de toute manière, finiront par tomber. Claude Guéant ou Nicolas Sarkozy ne sont évidemment des fascistes. Ils manipulent au gré de leurs intérêts des concepts auxquels ils ne comprennent rien. Ce sont simplement des politiciens prêts à toutes les concessions pour remporter la victoire.
GXC