Ce qui se passe en Catalogne devrait inciter à la prudence les acteurs politiques de chez nous, toujours prompts à exiger davantage de pouvoirs et d’autonomie de gestion.
La Catalogne est une région qui compte en Europe. D’une superficie de 31.950km² (6,3% de la superficie de l’Espagne), elle compte environ 7,5 millions d’habitants (16% de la population espagnole). Plus des deux tiers de sa population sont concentrés dans la sphère urbaine de Barcelone, la capitale régionale. Pesant près de 19% du PIB national, la Catalogne est la première région économique d’Espagne. Elle est aussi la plus riche. En 2009, le PIB par habitant y dépassait respectivement de 10,7% et 15% les PIB moyens par habitant espagnol et européen. Par ailleurs, la Catalogne accueille plus de 25% de la fréquentation touristique nationale (14.207 millions de visiteurs étrangers générant 104.405 millions de nuitées) et concentre sur son territoire 22% des entreprises innovantes, 22,5% des dépenses en recherche développement et 22% des entreprises technologiques d’Espagne. Enfin le niveau de chômage y est inférieur à la moyenne espagnole et le taux d’activité supérieur. La Catalogne est un peu la référence de tous les partisans des autonomies régionales en Europe. Sans recourir à la violence politique, les Catalans ont obtenu l’instauration d’une Communauté autonome avec un statut de « communauté historique » et reconnue comme « réalité nationale » au sein de l’Espagne. Les langues officielles sont le catalan, l’espagnol et l’occitan. Enfin, la communauté autonome (Generalitat) est dirigée par la formation autonomiste de centre droit « Convergencia I Unio ». Celle-ci est aux commandes depuis novembre 2010 suite à la déroute des socialistes qui gouvernait la Generalitat depuis 2003, et a ainsi reconquis un pouvoir régional qu’elle avait assumé de 1980 à 2003. Ce succès a cependant moins résulté d’une poussée autonomiste que du rejet d’une gestion socialiste fortement plombée par la crise. « Convergencia I Unio » l’a d’ailleurs emporté en mettant en avant des solutions libérales parmi lesquelles la suppression de services administratifs et de postes d’agents publics, la suppression de services publics et l’allégement des charges patronales.
Une trésorerie très mal en point
L’autonomie et le libéralisme n’ont toutefois pas suffi à éviter à la Catalogne ce que ces deux options politiques détestent le plus au monde : le recours à l’Etat. Confronté à d’énormes coûts de refinancement de la dette régionale, le gouvernement autonome a dernièrement demandé à Madrid d’autoriser les régions endettées à recourir à des obligations garanties par l’Etat. Il a expliqué que ces obligations étaient nécessaires à l’allégement du fardeau que représente la dette, mais aussi à la garantie des paiements. Ce qui a confirmé combien la trésorerie catalane était mal en point. Selon les médias espagnols, la Catalogne devrait en effet refinancer, dès cette année, 13 milliards d’euros de dettes. Quant aux autres régions espagnoles, elles ne seraient pas logées à meilleure enseigne. Au total, il leur incomberait de refinancer 36 milliards d’euros de dettes cette année et leurs budgets devraient enregistrer un déficit cumulé de 15 milliards. Mais il y a plus grave, l’an passé, plusieurs régions ont été dans l’obligation de repousser de plusieurs mois, voire de plusieurs années, le paiement de certains fournisseurs. De plus, cette année, l’Etat espagnol a du mettre à leur disposition une facilité de crédit exceptionnelle pour le paiement des fournisseurs, dispositif que la Catalogne a d’ailleurs sollicité à hauteur de deux milliards d’euros. Pour tenter d’en sortir, la Catalogne a émis des « obligations patriotiques » (bonos patrioticos) à des taux d’intérêt de 4,5% à 5% mais, un quart de l’épargne catalane étant déjà investie dans ces titres, la capacité des habitants à souscrire est désormais épuisée.
Un fâcheux précédent
Contrainte de renoncer à des financements bancaires à court terme devenus trop coûteux - la région de Valence, voisine de la Catalogne, a récemment dû se plier à des taux d’intérêt de l’ordre de 7% pour un emprunt à six mois - la Catalogne s’est résignée - comme indiqué plus haut- à prendre le chemin de Madrid pour tenter d’obtenir les moyens de se refinancer. Un vrai Canossa si l’on considère qu’il y a quelques années, forte de sa puissance économique, de son influence dans les instances de l’Union Européenne et aussi de la position charnière que détenait les députés autonomistes catalans au sein de la représentation législative espagnole, la Generalitat multipliait les exigences d’autonomie budgétaire et fiscale ainsi que les arrogances à l’encontre de l’Etat espagnol. Auprès de ce dernier, toute honte bue, la Catalogne a donc demandé l’émission d’obligations « hispaniques » (Hispanobonos) censées permettre aux régions de se renflouer. Cette situation appelle une question : le désarroi catalan doit-il conduire à considérer que des régions autonomes sont dans l’incapacité de faire face seules à des périodes de grave crise économique et financière mondiale ? Il est prématuré de l’affirmer. On pourrait par ailleurs objecter à qui irait en ce sens, que les acteurs financiers font une confiance démesurée à des Etats mauvais payeurs et sont exagérément rigoureux avec les régions, et plus globalement toutes les collectivités locales. Mais il n’en reste pas moins qu’en Cors, ce qui se passe au sud des Pyrénées devrait inciter à la réflexion et surtout à la prudence les acteurs politiques toujours prompts à exiger davantage de pouvoirs et d’autonomie de gestion. En effet, un état dégradé des comptes des collectivités locales pourrait bien un jour donner prétexte à l’Etat de redevenir intrusif et aux populations de lui donner raison. Certes la Corse n’est pas la Catalogne. Mais que fin 2010, le Conseil général de la Haute-Corse ait du solliciter auprès de Paris une rallonge budgétaire de deux millions d’euros pour boucler son budget, constitue pour le moins un fâcheux précédent.
Pierre Corsi