Mais que peuvent réellement les maires ? En réalité, pas grand-chose ! Le niveau élevé de la demande immobilière et la somme des intérêts en jeu rendent l’offre difficilement maîtrisable.
La « bulle » immobilière est un cancer dont les métastases ne se limitent pas à la hausse exorbitante du prix des terrains et du bâti, ou à l’impossibilité pour les plus modestes de se loger. Elle constitue aussi un danger mortel pour l’activité agricole, le maintien des populations dans les villages et la qualité de l’environnement. Corsica Libera a dernièrement mené des actions de sensibilisation qui ont mis en exergue cette redoutable malignité. A Porto-Vecchio, les militants indépendantistes ont dénoncé le PLU de la ville (plan local d’urbanisme) comme allant dans le sens d’une économie résidentielle et menaçant des prairies naturelles. Ils ont par ailleurs affirmé que la disparition totale ou partielle de ces prairies conduirait à celle d’une exploitation agricole. Corsica Libera a aussi mis en cause le PADD de la commune de Cauro (projet d’aménagement et de développement durable). Selon les militants locaux du mouvement indépendantiste, ce PADD remettrait en piste un projet visant à urbaniser une zone naturelle éloignée du village. 150 à 400 maisons individuelles ainsi que des commerces devraient voir le jour. Ce qui aurait pour conséquences de dévitaliser le village ancien, de supprimer des terrains agricoles et de détériorer l’environnement.
Annulation du PLU d’Olmeto
La multiplication des prises de position de Corsica Libera, la recrudescence des attentats contre des résidences secondaires ou la mobilisation croissante du monde agricole ou d’associations de protection de l’environnement, confirment qu’à l’approche de l’épilogue des Assises du foncier et du logement, les opposants à l’économie résidentielle entendent ne rien lâcher et même accentuer la pression. Ils sont d’ailleurs confortés dans leur engagement par les juges administratifs. Il y a quelques semaines, en annulant le PLU de la commune d’Olmeto, le tribunal administratif a donné raison aux associations de protection de l’environnement et à la Chambre d’agriculture de la Corse-du-Sud. Les juges ont considéré que le projet de PLU ne tenait pas compte du fait que les terres agricoles à forte potentialité agropastorale sont inconstructibles et doivent être préservées. Ils ont sanctionné le non respect de l’inconstructibilité dans certains zonages, l’absence de limitation de l’urbanisation dans les espaces proches du rivage et le fait que cinq zones constructibles auraient empiété sur des espaces remarquables alors que toute construction y est interdite. Enfin, ils ont souligné que ne pouvaient être classés en zones urbaines que les secteurs déjà urbanisés et ceux où les équipements publics existants (notamment ceux relatifs à l’eau et à l’assainissement), ou en cours de réalisation, avaient une capacité suffisante pour desservir les constructions à implanter. La « bulle » immobilière provoque aussi une mise en cause des élus municipaux. Ceux-ci sont souvent accusés de favoriser la promotion immobilière ou d’en profiter. A Cauro, Corsica Libera reproche à l’équipe municipale de renoncer à un développement durable de la commune à partir du centre ancien er d’opter pour l’urbanisation intensive de zones naturelles. A Porto-Vecchio, les militants indépendantistes vont plus loin encore. Ils accusent des élus municipaux de pratiquer la spéculation immobilière : « les dérives de cette politique municipale sont ces sociétés, appartenant quasiment toutes à des membres du conseil municipal, dont certains ont siégé à la commission de pilotage du PLU, qui ont acquis un certain nombre de terrains agricoles (…) peu de temps avant l’élaboration du PLU. Ces terrains ont ensuite été déclassés par le PLU malgré l’opposition de la Chambre d’agriculture. Ainsi, des terrains à forte potentialité agricole ont été offerts aux appétits spéculatifs. » Il convient cependant de reconnaître que beaucoup d’élus dénoncent la « bulle » immobilière. François Tiberi, le maire de Ventiseri, déplore les effets pervers du « trop-plein » de Porto-Vecchio se déversant sur son village. En zone de plaine, le prix du mètre carré non viabilisé atteint 60 euros, alors que la commune propose du terrain viabilisé à 37 euros. Le prix d’une maison est passé de 60 000 euros en 2002 à 150 000 euros ces derniers mois.
L’aspiration à vendre au plus offrant
Mais que peuvent réellement les maires ? En réalité, pas grand-chose. Le niveau élevé de la demande rend l’offre difficilement maîtrisable. En effet, appâtés par les promoteurs, les propriétaires fonciers exigent la constructibilité de leurs terrains et aspirent à vendre au plus offrant. De plus, ces propriétaires sont aussi des électeurs… L’état du marché et le risque d’être électoralement désavoué font tourner au supplice l’élaboration du PLU censé organiser le développement d’une commune en fixant les règles d’urbanisme de tout ou partie du territoire, et en tenant compte des nouvelles exigences environnementales. Ils ne facilitent pas non plus l’élaboration du PADD censé définir une politique d’ensemble et préciser les projets d’aménagement. Plus grave encore, il se dit qu’aux pressions du marché et des électeurs, s’ajoutent celles d’un crime organisé qui investit massivement dans l’immobilier. D’évidence, même après les Assises du foncier et du logement, la question foncière sera loin d’être close…
Pierre Corsi