Le bilan municipal de la gauche bastiaise est défendable et il n’existe pas encore de projets alternatifs. Toutefois, des signes avant-coureurs donnent à penser que des opposants croient en leur étoile.
Depuis quelques mois, il règne une ambiance inhabituelle dans le landerneau politique bastiais. Les Pythies de la place Saint-Nicolas et du Marché laissent entendre que la municipalité de gauche qui administre la Ville depuis la fin des années 1960, pourrait être battue à l’occasion des prochaines élections municipales. En ce sens, elles assurent qu’à l’exception d’un Emile Zuccarelli toujours actif et pugnace et de quelques élus de terrain, l’équipe municipale manque de mordant. Elles ajoutent que la plupart des adjoints et des conseillers municipaux ignorent les doléances des habitants, sont rétifs au changement et sont incapables de comprendre que l’électorat des années 2010 n’a plus grand-chose de commun avec celui du siècle passé. Elles affirment aussi qu’une partie de l’administration communale n’est plus en phase avec les élus ou ne songe qu’à faire carrière. Confrontés au scepticisme d’interlocuteurs qui leur répondent que tout cela relève d’une vision subjective ou d’une attention trop grande accordée à des cancans ou à des faits mineurs, les Pythies bastiaises assènent d’autres arguments. Elles évoquent les dissensions au sein de l’équipe municipale. La plus citée est, bien entendu, celle qui a été révélée sur un plateau de télévision par celui qui, il y a encore un an, était considéré comme le fidèle des fidèles. Déclarant son ambition de conduire la liste d’union de la gauche lors du prochain scrutin municipal et assurant avoir été pressenti pour le faire, affichant ainsi une intention pouvant s’avérer concurrente de celle du fils du maire, François Tatti a causé une surprise qui, à en croire les Pythies, aurait viré à la crise ouverte. En effet, selon ces dernières, des membres influents de l’équipe municipale auraient pris parti pour l’intéressé alors que d’autres l’auraient jugé présomptueux ou trop pressé. L’existence d’un malaise a d’ailleurs été confirmée quand le maire de Bastia s’est inscrit en faux contre les rumeurs ou les déclarations lui prêtant d’avoir planifié sa succession. Les Pythies se réfèrent aussi à une autre dissension : les rapports redevenus tendus entre le PRG et le PS. Elles soulignent que la fédération de la Haute-Corse du PS a bruyamment fait connaître son désaccord et sa déception concernant l’investiture du candidat de la gauche non communiste ; ces sentiments étant inspirés par la décision des instances nationales du PS de réserver la circonscription législative de Bastia à un candidat PRG, alors que celle-ci était initialement destinée à une candidate socialiste.
Des opposants croient en leur étoile
Bien entendu, il convient de relativiser ce qui se murmure ou se dit. Il importe aussi de considérer qu’en politique rien n’est jamais figé, et que les mésententes sont souvent suivies de réconciliations, tout comme d’ailleurs les lunes de miel peuvent se conclure en divorces. Aussi, il n’est écrit nulle part que les prédictions pessimistes des Pythies s’avéreront exactes. D’autant que le bilan municipal de la gauche bastiaise est des plus défendables et que les opposants n’ont pas encore de projets alternatifs susceptibles de susciter l’adhésion. Toutefois des signes avant-coureurs donnent à penser que les opposants commencent à croire en leur étoile. Encouragés par leur poussée à l’occasion du scrutin territorial de mars 2010, les autonomistes et leur chef de file Edmond Simeoni estiment possible de l’emporter. Pour y parvenir, il leur faut bien sûr réaliser des progrès en matière de connaissance des affaires communales et de capacité à rassembler. Mais il serait hasardeux de mésestimer leur volonté et leur capacité de franchir ces caps. Jusque là considérés comme peu portés sur les problématiques de gestion, ils viennent de dévoiler - comme l’atteste un long entretien accordé à un confrère par un de leurs cadres - qu’ils avaient conscience des nécessités de se doter de véritables projets communaux et de se former à l’administration d’une ville. En outre, après avoir été longtemps cantonnés dans leur camp, ils affirment désormais la volonté de se trouver des alliés parmi ceux qui, pour une raison ou une autre, aspirent à mettre fin au pouvoir des grandes familles politiques insulaires. Quant à la droite bastiaise, elle sort timidement de sa léthargie. N’ayant pas encore de leader incontesté, elle n’est plus entravée par des responsables devenus peu combattifs, le suffrage universel les ayant définitivement mis hors-jeu. Une telle situation peut permettre à cette mouvance politique de se réorganiser, et favoriser l’affirmation de cadres ambitieux et entreprenants, un peu comme c’est aujourd’hui le cas à Ajaccio avec Laurent Marcangeli ou Jean-Jacques Ferrara. Elle est aussi de nature à ouvrir la voix à une ambition inattendue (peut-être celle de Stéphanie Grimaldi, conseillère territoriale et présidente de la fédération UMP de la Haute-Corse). Une droite réorganisée ne serait pas à prendre à la légère car, outre sa propre dynamique, elle serait susceptible de passer, au stade d’un second tour, un contrat de mandature et d’alternance avec Gilles Simeoni et ses amis. En effet, la nouvelle génération de responsables et d’électeurs de droite est loin d’être effrayée par le message porté par la fraction autonomiste et fortement majoritaire du nationalisme.
Pierre Corsi