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Autonomie : qui décrochera la mise ?

vendredi 15 juillet 2011, par Journal de la Corse

Il se dessine parmi les conseillers territoriaux et les électeurs insulaires une tendance de plus en plus perceptible à l’autonomie. Aux nationalistes de ne pas se faire déposséder...

Lors de la dernière session de l’Assemblée de Corse, les conseillers territoriaux ont, à l’unanimité, préconisé un transfert de compétences en matière de droit de succession. Rejetant une évolution vers le droit commun, souhaitant aussi rompre avec les incertitudes constantes, les dérogations provisoires et les prorogations précaires attachées depuis des décennies aux arrêtés Miot, ils ont proposé que la Corse puisse relever d’un cadre fiscal spécifique et pérenne. Si les élus conseillers territoriaux sont entendus par Paris, la Collectivité Territoriale sera en mesure de fixer - en les adaptant à la situation de l’île et plus particulièrement à la volonté des Corses de permettre aux héritiers les plus modestes de conserver le patrimoine familial - l’assiette, les taux et les tranches des droits de mutation applicables aux biens et droits immobiliers. Sur sa lancée, l’Assemblée de Corse a également délibéré pour demander qu’à compter du 1er janvier 2013, l’État reverse à la Collectivité Territoriale le produit des recettes ainsi réalisées. Il convient de se souvenir que ces textes votés par l’Assemblée de Corse sont en grande partie d’inspiration corsiste ou nationaliste. En effet, depuis les années 1960 du siècle dernier, les régionalistes, les autonomistes et les indépendantistes portent des revendications de spécificité corse et de dérogation au droit commun français dans le fiscal. C’est d’ailleurs en ce sens que, dès l’automne dernier, Femu a Corsica avait proposé que l’Assemblée de Corse délibère en faveur d’un transfert de compétences permettant à la Corse de définir son propre régime fiscal des successions et de percevoir le produit des droits. La commission des compétences législatives et réglementaires et la commission des finances ont planché selon cette orientation. Ils l’ont fait avec l’assistance d’experts reconnus parmi lesquels Alain Spadoni qui bataille depuis des décennies pour un statut dérogatoire des successions, et Louis Orsini auteur d’un ouvrage de référence portant sur les arrêtés Miot. Les travaux des deux commissions ont été déterminants. Ils ont permis de dégager le consensus qui a abouti à un vote unanime. Les présidents des deux commissions, Pierre Chaubon et Antoine Orsini, peuvent être fiers de leur action. Obtenir, à partir d’un sujet très épineux, un même vote depuis les fauteuils de Corsica Libera et de Femu a Corsica jusqu’à ceux du Front de gauche et de la Gauche Républicaine, n’était pas gagné d’avance.

Paris devra trancher

Il était urgent que l’Assemblée de Corse prenne ses responsabilités car, à partir du 1er janvier 2013, les héritiers de Corse devraient progressivement s’inscrire dans le droit commun, c’est-à-dire payer des droits de succession au profit des caisses de l’État. Ce qui contraindrait les plus modestes à vendre des terres ou des bâtiments pour payer ces droits, et à se trouver ainsi injustement dépossédés du fruit du travail de leurs ancêtres. Ce qui permettrait aussi à des non Corses ou à des Corses très fortunés d’acquérir ces biens. Bien sûr, rien n’est encore gagné. Forte du vote unanime de l’Assemblée de Corse, la Collectivité territoriale va devoir saisir le gouvernement qui confiera l’examen du dossier au Conseil d’État pour avis. Ensuite, le gouvernement devra trancher, en faveur ou non, du vote corse et s’il décide d’apporter une réponse favorable, il conviendra d’obtenir un accord du Parlement. L’issue des choses dépend donc de Paris et ce qu’il adviendra pèsera lourd sur les plateaux de la balance permettant d’évaluer l’état des relations entre l’Hexagone et la Corse. Un « non » parisien contribuerait certainement à faire pencher le fléau du côté des ruptures car il représenterait un camouflet infligé à tous les électeurs de Corse et un mépris profond pour l’attachement viscéral de la plupart des Corses au patrimoine foncier légué par leurs ancêtres. Ce qui placerait l’ensemble de la mouvance nationaliste en position de force car ses pires griefs contre l’Etat français, dont celui d’être un maître autiste et méprisant, seraient totalement crédibilisés. En revanche, un « oui » constituerait le début d’une nouvelle ère fondée sur la confiance et le dialogue. Toutefois, cela ne nuirait pas forcément au nationalisme car, à travers un régime spécifique attachés aux successions, celui-ci verrait satisfaite une de ses plus anciennes revendications et sans doute une des plus populaires. Mais, au fond, que le « non » ou le « oui » l’emporte ne fera que confirmer une tendance irrésistible à l’autonomie. N’oublions pas que lors de la session qui l’a vue se prononcer en faveur d’un régime spécifique attaché aux successions, l’Assemblée de Corse a adopté un ensemble de mesures spécifiques ayant pour objet de lutter contre la spéculation. Parmi celles-ci figurait l’engagement d’étudier l’instauration d’un statut de résident corse. Il convient aussi de se souvenir que, parmi les conseillers territoriaux et les électeurs insulaires, le vent est à une maîtrise corse des transports ferroviaire et maritime à partir d’une adaptation des règles européennes de la concurrence et de la création de compagnies ou d’établissements publics régionaux. L’autonomie est en marche. Reste à savoir si la majorité territoriale actuelle en maîtrisera le contenu et l’agenda, ou si les nationalistes sauront saisir un vent qui leur est a priori favorable, pour imposer leurs solutions, leurs rythmes et les hommes.

Pierre Corsi

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