Les maires de Haute-Corse continueront d’avoir peur. Mais, bientôt, ils se sentiront moins seuls.
La violence contre les maires est remise à l’ordre du jour. L’assemblée générale de l’association des maires de la Haute-Corse a évoqué ce problème en présence du préfet. Le président de l’association a affirmé que beaucoup de maires « souffrent » et « souhaitent ne pas se représenter parce que, aujourd’hui, ils n’ont plus la foi ». Le préfet a tenté de rassurer son hôte et son auditoire en énonçant des mesures censées endiguer les pressions, les menaces et les voies de fait. Ainsi, il a fait part de l’engagement de l’Etat de « concentrer les efforts » et « développer les investigations pour suivre l’évolution patrimoniale et les mouvements de fonds avec une attention toute particulière sur toutes les activités qui se concentrent sur les façades littorales du département, et plus particulièrement sur la Plaine Orientale et en Balagne ». Par ailleurs, il a invité les maires à la tolérance zéro : « A la moindre pression, à la moindre menace, à la moindre tentative d’intimidation, allez voir les gendarmes ». On a pu noter aussi que le préfet a dit tout haut ce que beaucoup, y compris parmi les maires et les autres élus, se bornent à dire tous bas. Il a souligné que l’intimidation et la violence sont perpétrées par des « groupes organisés qui ont des ramifications dans le Sud de la France et en région parisienne ». Le représentant de l’Etat a donc reconnu que le grand banditisme voulait faire main basse sur la Haute-Corse. Les maires sont donc confrontés à un problème qui les dépasse mais qui, quelles que soient les mesures répressives, ne sera résoluble ni en un jour, ni en sept. Les intérêts spéculatifs et les profits qui sont en jeu sur les territoires évoquées par le préfet (Plaine Orientale, Balagne), rendent illusoire toute amélioration significative et durable de la situation. L’Etat ne pourra mettre un gendarme derrière chaque maire. Toutes les JIRS du monde ne seront jamais en mesure de contrer un lierre pré-maffieux qui tire sa vitalité et sa rapacité d’une jeunesse malade de l’argent sale impudiquement affiché, d’une précarité souvent cachée et toujours ressentie honteuse, et d’un territoire aussi sous-développé que naturellement magnifique et attractif. Sans compter qu’outre la menace et la violence imputables au grand banditisme, les maires doivent compter avec celles des incendiaires et des propriétaires laissant leur bétail en état de divagation. Bien entendu, plus les communes sont proches du littoral, de petite taille ou frappées par la désertification, plus leurs maires sont vulnérables et menacés. L’isolement et l’absence d’écrans administratifs les y rendent plus intimidables et vulnérables. Alors, il est fort à parier que l’an prochain et les années suivantes, les maires continueront de souffrir. Pourtant, outre le recours aux gendarmes, il serait possible de mieux les protéger en mettant en œuvre une mesure – la réduction du nombre de communes – qui d’ailleurs s’imposerait aussi au titre d’une rationalisation de la carte administrative et d’une gestion optimisée des deniers publics.
L’assassinat de la « commune nouvelle »
Mais évoquer une telle évolution relève presque encore du tabou. La commune est considérée comme étant la cellule de base de la décentralisation, de la vie politique, de la démocratie, de la citoyenneté. Cette cellule, héritière des paroisses de l’Ancien Régime, a été instaurée lors de la Révolution. Elle est donc profondément ancrée dans la réalité sociologique et la tradition institutionnelle de la République. De plus, les maires et conseillers municipaux, ainsi que les parlementaires, sont majoritairement opposés à ce que l’on réduise le nombre de communes et ne manquent jamais une occasion de crier haut et fort que « les Français sont profondément attachés à leur commune et à leur maire ». Cet immobilisme vaut d’ailleurs aussi si l’on évoque d’autres strates du pouvoir local. En réalité, chacun se plait à dénoncer le « millefeuille » territorial, mais dès que le débat est lancé, la plupart de ses détracteurs font tout pour le conserver. Ainsi, après 40 ans de débats et de tentatives visant à réduire le nombre de communes, on en recense plus 36600 dont plus de 360 dans note île. La France communale est ainsi loin de ressembler à ses voisins européens. Elle apparaît davantage comme une exception que comme un modèle. Elle comprend 40% des communes de l’Union Européenne. L’application de la loi Marcellin adoptée en 1991 qui devait inciter au regroupement et à la fusion de communes, s’est soldée par un échec. Ce n’est pas demain que la France égalera une Belgique passée de 2739 à 589 communes entre 1970 et 1990. L’actuel président de la République qui a initié la commission Balladur devant proposer une réforme des collectivités territoriales, ne sera pas non plus celui qui aura réussi à réformer la carte communale. Depuis la promulgation de la loi territoriale tirée de son rapport, le 16 décembre 2010, Edouard Balladur se garde de dresser le moindre bilan de l’évolution d’une de ses propositions : la constitution de « communes nouvelles ». Pourtant, en février 2010, il affirmait : « Les regroupements dans des communes nouvelles sont une nécessité absolue qui correspond aux intérêts des populations comme aux réalités de l’économie ». L’enjeu déclaré de la « commune nouvelle » était d’en finir avec les 36000 communes en créant une étape intermédiaire incitant à la transformation d’intercommunalités en communes de plein exercice. En réalité, la « commune nouvelle » est d’ores et déjà morte. Pour en faciliter la création, Edouard Balladur n’exigeait pas l’unanimité des communes concernées et le gouvernement avait préconisé un vote à la majorité des conseils municipaux et une validation par une majorité des électeurs. Il était aussi prévu une bonification de la dotation globale de fonctionnement (DGF) pour « récompenser » les « unionistes ». L’Association des maires de France (AMF) a fait en sorte de tout détricoter : à sa demande, le Parlement a imposé l’unanimité des conseils municipaux ou des populations et écarté la bonification de DGF. Les maires de Haute-Corse continueront donc d’avoir peur. Mais bientôt, ils se sentiront moins seuls. Demain, faute d’une rationalisation et d’une mutualisation de l’utilisation des moyens humains et financiers qu’autoriserait la réduction du nombre de communes (et aussi la suppression des départements), le contribuable aura lui aussi matière à avoir peur quand, dans sa boîte aux lettres, il découvrira son relevé d’imposition locale.
Pierre Corsi