Les huit axes de Maria Guidicelli
Depuis septembre, date à laquelle ont été lancées les assises du foncier, la conseillère exécutive en charge de cette problématique et son équipe ont multiplié les rencontres avec tous les acteurs de ce secteur, organisé des ateliers thématiques, commandé des analyses, consulté divers cartes et documents,… Après huit mois d’un intense travail de réflexion, les contours d’une nouvelle politique régionale foncière et immobilière se déclinant en huit axes ont été définis.
Maria Guidicelli accompagnée du chef de projet pour le dossier foncier/immobilier et pour le Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse, Eric Salord, a organisé à partir du 19 mai trois réunions publiques à Sartène, Bastia et Corte pour présenter les premières pistes issues des ateliers consacrés à cette problématique. « Le foncier est un bien précieux, rare, voire inégalable, indique la conseillère exécutive, admettant volontiers son chauvinisme. Il nous faut le rationnaliser et le mettre au service aussi bien des hommes et des femmes qui vivent en Corse que d’un projet de développement économique multiforme. Notre politique de gestion foncière et immobilière sera lourde de conséquences, nous le savons ». Au commencement se pose le diagnostic suivant. La Corse est confrontée à un manque de logement en général et d’habitations à caractère social en particulier. Un déséquilibre majeur subsiste entre le littoral dont l’attractivité ne se dément plus et l’intérieur qui souffre toujours de l’exode rural. Les inégalités s’accroissent entre les foyers à revenus modestes qui ne peuvent accéder à la propriété en raison des prix élevés des terrains à bâtir comme de la pierre et les riches propriétaires de villas luxueuses. On enregistre donc ces dernières années une forte production de résidences secondaires avec une croissance des prix couplée à une spéculation foncière s’exerçant au détriment des terres agricoles et des résidences principales auxquelles s’ajoute un investissement faible de la puissance publique pour rééquilibrer cette situation. Le défi qui s’est posé à Maria Guidicelli était de trouver des pistes pour solutionner ces différentes problématiques et parallèlement enrayer la spéculation foncière et immobilière. Un pari ambitieux mais pas une gageure.
Huit axes majeurs
Tout d’abord, Maria Guidicelli prévoit « une mobilisation financière sans précédent » avec un budget annuel multiplié par six qui atteindra 12 M€ pour répondre à l’urgence de la situation. Cette enveloppe conséquente sera notamment alimentée par la constitution de ressources fiscales nouvelles. Partenariats, conventions et accords réuniront la Collectivité avec les différents acteurs concernés comme l’Etat, la Safer, le Girtec, les professionnels du BTP. Leur mission sera d’agir en synergie. Le troisième axe repose sur la garantie d’un droit fondamental pour tout citoyen : le droit au logement. Plus de 4M€ par an seront investis pour doubler le nombre de logements sociaux construits : 300 la première année, puis 600 et 800 dans trois ans, l’objectif étant d’atteindre une cadence de 1.000 habitations supplémentaires annuelles. Chaque année, 2M€ seront consacrés pour aider les communes à produire des logements permanents, 1M€ sera destiné à aider les propriétaires à réhabiliter leur patrimoine immobilier dans le cadre de l’Opération programmée de l’agence de l’habitat et 1.5M€ d’aides directes sera versé aux foyers modestes pour faciliter les acquisitions foncières. La quatrième piste prévoit la création d’outils publics d’actions sur le foncier et l’immobilier. Ainsi les communes verront leurs efforts pour fixer la population soutenus par 1M€ annuel pour l’équipement des terrains constructibles. Cinquième mesure, la création d’un établissement public foncier (EPF) en charge de l’aménagement et de la construction qui s’impose comme un instrument de régulation du marché. Cet EPF sera doté d’un fonds de démarrage de 30M€ alimenté principalement par le Plan exceptionnel d’investissement. Son rôle sera d’acheter du foncier avec le soutien de la Caisse de dépôts et consignation puis de le revendre aux particuliers. Le sixième axe acte la mise en place de moyens fiscaux nécessaires pour mener une action publique efficace. « Ouvrir le chantier de la fiscalité est impératif, relève Maria Guidicelli. Et nous devons demander une compétence partielle à l’Etat avec l’appui de la Commission des adaptations législatives et réglementaires. Nous devons démontrer à l’Etat que cette taxation spécifique fait partie d’un arsenal qui apporte une réponse à un problème actuel ». Cette fiscalité s’exercera sur les droits de succession et les donations, les droits de mutation à titre onéreux, les plus-values spéculatives. Une taxation des résidences, avec une différenciation entre l’habitation principale et la demeure secondaire visée par ailleurs par une surtaxation, et des terres reclassées à l’urbanisation sont également prévues. « Actuellement, les impôts ne correspondent pas aux besoins réels, note Eric Salord. Une adaptation du système fiscal à la réalité est nécessaire sans pour autant prendre la forme de mesures discriminantes ». Et Maria Guidicelli de renchérir : « Il ne s’agit pas de taxer sans retenue ou de spolier mais de réguler un marché débridé en respectant un cahier des charges strict ».
Une évolution statutaire ?
L’avant dernière piste prévoit la mise en place d’outils de connaissance des marchés du foncier et de l’immobilier par des études d’observation et d’évaluation. L’élaboration d’un dispositif public spéculatif, qui représente la dernière mesure proposée par le groupe de travail, s’articule autour de trois phénomènes. En premier lieu, l’adaptation du code de l’urbanisme aux spécificités de la Corse semble incontournable. De nouveaux articles instaureront des règles spécifiques concernant par exemple les terres agricoles, les logements sociaux, la mixité sociale. Ensuite, il s’agit de s’appuyer sur les ressources législatives du Padduc qui en font un document opposable au tiers permettant ainsi d’encadrer tout projet de construction même en l’absence de document d’urbanisme. Enfin, se pose la question de l’évolution statutaire qui devrait susciter un débat animé à l’Assemblée territoriale. Les deux groupes nationalistes, Femu a Corsica et Corsica Libera, se sont exprimés en faveur de la création d’une citoyenneté corse basé sur dix années de résidence permanente sur l’île pour accéder à la propriété. Le président du Conseil exécutif territorial, Paul Giacobbi a récemment déclaré qu’il n’était pas hostile à cette proposition qui méritait d’être discutée. D’autres groupes comme Rassembler pour la Corse juge cette mesure discriminante et contraire à la Constitution française. « L’évolution statutaire répondrait-elle à la problématique de la spéculation, s’interroge Maria Guidicelli. Etablir un critère de résident ou de citoyen basé sur l’ancienneté permettra-t-elle de réguler le marché ou la mise en œuvre des mesures que nous proposerons suffiront à répondre à la problématique du foncier ? ». Réponse lors des prochaines sessions de l’Assemblée territoriale. M.K Encadré L’agriculture et le foncier « L’agriculture doit-elle constituer une priorité pour ceux qui réfléchissent à un projet de société pour la Corse ? », demande Norbert Laredo qui participait à la réunion publique de Corte. La réponse ne semble souffrir selon lui d’aucune hésitation : oui. Avis que partage entièrement Maria Guidicelli. Entre des importations toujours plus onéreuses en raison de l’augmentation incessante ces dernières années du prix des carburants et l’exigence de qualité des produits de consommation, le développement de l’agriculture corse pour aboutir à une quasi autosuffisance semble cohérent. Sauf que… Le secteur est confronté à divers écueils : l’absence de foncier, le manque de valorisation des filières locales, la concurrence des échanges commerciaux avec la Sardaigne,… « Malheureusement, aujourd’hui, nous avons de plus en plus de mal à faire le lien entre l’agriculture et le projet de développement agricole, regrette Eric Salord. Or, nous avons besoin de la dynamique de projets agricoles pour utiliser la terre ». La politique régionale foncière et immobilière prévoit une préservation cohérente des terres agricoles et, comme l’a rappelé la conseillère exécutive, ce volet fera alimentera l’élaboration du Padduc. « Il faut préserver les potentialités agricoles et donner une chance à l’agriculture, insiste Norbert Laredo. Si aujourd’hui nous manquons de titulaires, peut-être que demain ce ne sera pas le cas. Mais si aujourd’hui on implante une maison sur une parcelle, demain on ne pourra plus y installer une exploitation agricole ».
M.K