Yves Manunta a été assassiné. C’est d’abord un grand malheur pour les siens déjà durement éprouvés en novembre dernier quand sa femme et sa fille avaient été blessées lors d’un précédent attentat. Mais c’est aussi un malheur pour la Corse car cet assassinat perpétré sur un homme menacé vient se surajouter à tous ceux qui ont déjà endeuillé notre île. Après ce crime, un seul mot vient aux lèvres :"Assez".
L’acharnement des tueurs
On ne peut évidemment relier la tentative d’assassinat dont avait été victime Yves Manunta en mars 1996, attribuée à des membres du FLNC Canal historique et les deux ultimes agressions dont il a été la victime. Yves Manunta était un double survivant et nous en avions parlé lorsque je l’avais rencontré à deux reprises afin de lui témoigner ma solidarité après que sa femme et sa fille avaient été blessées en novembre dernier. Peu m’importe le jugement que d’aucuns ont pu porter sur Yves Manunta. Il est bon de rappeler que la peine de mort a été supprimée en 1981 et que nul n’a le droit de s’auto-déclarer enquêteur, juge et bourreau. En 1996, je l’avais déjà défendu alors qu’il avait été mitraillé sur le cours Napoléon par un commando du FLNC Canal historique. Il m’avait dit avoir par la suite rencontré ses agresseurs pour parler de cet épisode de la guerre intra-nationaliste et avoir pardonné. Yves Manunta avait témoigné lors du procès SMS. C’était, selon lui, ce témoignage qui lui valait la haine d’ennemis qu’il situait dans un certain système ajaccien. C’est désormais à la justice de faire son travail et à personne d’autre. Car au-delà même de ce nouvel assassinat, c’est bien la Corse qui, une fois encore, prise en otage par des bandes armées. Et c’est insupportable. Des lignes blanches ont été franchies. Des lignes bien ténues mais qui maintiennent le crime dans des limites "acceptables". D’abord quand Marie-Jeanne Bozzi, l’ancienne mairesse de Grosseto Prugna, a été fusillée dans le dos. Quand à Furiani un père a été exécuté devant son enfant. Quand enfin une mère et sa fille, celles d’Yves Manunta ont été grièvement blessées dans la voiture conduite par la personne visée. On ne peut qu’être angoissée par de telles transgressions dans la sauvagerie même si toute mort d’homme est en soi condamnable. Le deuxième aspect inquiétant est l’acharnement des tueurs qui ont poursuivi leurs proies durant des mois. C’était vrai pour Antoine Nivaggioni, pour Alain Sisti et enfin pour Yves Manunta. Cela signifie deux choses : la première est que la police est pour le moins inefficace sinon passive. Dans plusieurs cas, elle a donné l’impression (mais peut-être n’est ce qu’une impression) de laisser faire et de compter les morts. Le troisième aspect qui laisse songeur est une interrogation : la plupart des personnes assassinées auraient dû être au moins "surveillées" par la police. Plusieurs d’entre elles avaient déjà été agressées. Et pourtant elles sont mortes. Qu’en penser ? Ça ne donne en tous les cas pas confiance dans les capacités des policiers et encore moins dans celle de la JIRS.
C’est à la société corse de réagir
Mais je l’ai déjà écrit dix fois : ce serait une erreur de ne compter que sur les forces de répression pour régler un problème qui est celui de la société corse dans son ensemble. Nous ne pouvons tout à la fois nous plaindre de la violence et ne rien faire contre. Notre apathie nous condamne à subir ce mal endémique qui ronge la Corse depuis des millénaires. Ceux qui s’entre-tuent ne sont pas des extraterrestres. Ils appartiennent à notre communauté de destin. Souvent même ce sont des enfants de bonnes familles. C’est à nous de faire entendre notre immense réprobation face à ces comportements de petits caïds, à la mainmise sur les affaires publiques, à l’accaparement des marchés, au racket systématisé de quelque façon qu’il s’habille. Nous devons avoir le courage de dépasser nos peurs ou tout simplement nos préjugés culturels pour témoigner devant la justice, pour dire non à la loi du plus fort. Ceux qui traitent les témoins de balances sont ni plus ni moins les complices de la voyoucratie et de cette gangrène qui menace notre société c’est-à-dire nos enfants. Osons affirmer que le citoyen qui gagne honnêtement sa vie en se levant tous les matins, en affrontant les problèmes du quotidien vaut dix mille fois mieux que le petit voyou qui trafique ou traficote, prête la main à des assassins et prend la Corse pour son sinistre terrain de jeu. De surcroît, ces destins de délinquants qui s’achèvent bien souvent dans le sang sont la piétaille des voyous légaux qui eux mettent la main sur notre terre avec hélas toujours la complicité de Corses. Mais la justice de son côté doit oeuvrer sereinement de manière à être comprise et acceptée par les Corses. Les assassins doivent être punis mais dans les règles et selon le droit commun et non selon des principes d’exception.
GXC