Quatre assassinats et tentatives en une journée : une femme et une enfant blessées… Jusqu’où iront les assassins ? La Corse n’en finit pas de se faire saigner et de cultiver ses démons.
Traduire tous les assassins devant la justice !
La mort, encore la mort et toujours la mort. Voilà ce qu’est désormais notre lien essentiel dans cette île mortifère. Cette fois-ci, en tentant d’assassiner un père, les tueurs n’ont pas hésité à tirer sur une mère (grièvement blessée) et une enfant de dix ans elle aussi atteinte par un projectile. Je ne saurais dire le sentiment qui domine chez celles et ceux qui vivent en Corse au quotidien : de l’indignation horrifiée ou de la lassitude épouvantée. Le seul terme qui me vient à l’esprit est : assez ! Je sais combien écrire est vain lorsque quelques d’assassins, forts de leur impunité se moquent de celles et ceux qui vivent en Corse, au point de se flinguer au coin des rues en prenant en otage une population entière. Ils nous réduisent au rang de spectateurs passifs de notre propre mort morale. Que retiendront nos enfants de cette atroce loi des armes ? Yves Manunta, l’une des victimes, fort heureusement sauf, livre dans les colonnes de Corse-Matin la piste qu’il croit la plus crédible. Il désigne ceux qu’il suppose être la piste des tueurs. Il parle parce que sa femme et sa fille ont aussi été visées. Je ne connais rien des tenants et les aboutissants de cette affaire et je m’en moque totalement. Rien ne justifie qu’on cherche à tuer un homme et encore moins une femme et une enfant. Aujourd’hui, j’ai une seule envie : que tous ces flingueurs de quelque côté qu’ils se situent soient mis hors d’état de nuire une fois pour toutes et qu’ils nous foutent la paix !
C’est à nous d’isoler les assassins
Les mots sont dérisoires au regard de ces épuisants dérèglements de la société corse : lorsque Florian Costa a été assassiné devant son enfant, nous avons parlé d’un palier franchi dans l’ignoble. Lorsque Marie Jeanne Bozzi, nous avons dit : « Ils ont osé tuer une femme ». C’est maintenant une famille qui a failli être massacré. Et nous bégayons. Combien d’assassinats faudra-t-il pour que nous Corses qui sommes les premiers concernés, nous nous donnions les moyens d’arrêter ce suicide ?
Agir comme citoyen
Il n’existe évidemment pas de recettes miracles pour éteindre le foyer de la violence insulaire. Mais il devient difficile de stigmatiser la JIRS et les juridictions d’exception si nous sommes incapables de nous-mêmes prendre nos responsabilités en aidant la justice locale afin qu’elle fasse son travail. Notre société, en refusant d’affronter sa propre réalité, de privilégier la compétence, la valeur, en flattant les réussites crapuleuses, en s’interdisant de mettre au banc de la société ceux qui vivent du crime et de la corruption, et parfois même en les plaçant à des postes de commande, se condamne à subir ces terribles saignées. Je suis bien placé pour savoir à quel point, dans notre petit monde de proximité, il est difficile de faire la part de l’affectif et du moral. Mais je ne veux ni m’habituer ni chuter dans le cynisme misanthrope. Ces assassinats ne sont pas « normaux » et les assassins ne sont pas des êtres normaux. Comprenons seulement qu’en acceptant les règles imposées par les armes, nous allons perdre notre âme. Demain on nous sommera de choisir un camp ou un autre. En l’absence d’un tel choix on exigera que nous nous taisions au nom d’une supposée culture. Celui qui appellera à ce que les assassins soient réprimés sera traité de collaborateur. C’est pourquoi je dis ici même que la justice doit être inflexible envers les tueurs. Parce qu’ils violent notre avenir, nous devons être capables, nous les Corses, de les juger et de les condamner. Et si nous n’y parvenons pas, alors nous n’avons en effet plus qu’à nous taire et à laisser agir policiers et juges d’ailleurs. Yves Manunta a eu raison de s’exprimer publiquement. J’espère qu’il témoignera devant la justice en jetant aux orties la crainte d’apparaître pour une « balance ». Il y a plus de courage à agir au nom de la communauté humaine qu’en pratiquant la vengeance personnelle. Un jour peut-être serons-nous capables d’œuvrer pour le bien commun et de construire une société plus juste où chacun vivra en harmonie avec son prochain. Qu’on me pardonne ces propos qui peuvent passer pour de la naïveté et qui n’est que l’énonciation d’un rêve ancien et le produit d’une immense lassitude doublée d’une véritable angoisse pour mes enfants.
Gabriel Xavier Culioli