La concrétisation d’une fusion du Conseil régional d’Alsace et des conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, pourrait redonner vie, chez nous, à la revendication d’une collectivité unique.
Si la loi du 17 décembre 2010 portant réforme des collectivités locales n’est pas supprimée suite à une défaite de Nicolas Sarkozy en 2012 (ou si la gauche victorieuse modifie ou remplace ladite loi mais laisse l’opportunité aux collectivités locales de fusionner) et si les électeurs approuvent cette évolution, en 2014, l’Alsace sera une et indivisée. En effet, à cette date, le Conseil régional d’Alsace ainsi que les conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin fusionneront et constitueront ainsi le Conseil d’Alsace. Il ne s’agit encore que d’une éventualité, mais le processus est bien engagé. Les élus des trois collectivités ont déjà surmonté un obstacle majeur. Jusqu’à ces dernières semaines, ils butaient sur les réticences des conseillers généraux du Haut-Rhin qui craignaient un centralisme strasbourgeois. Cette crainte a été levée par un compromis : si la fusion intervient, le futur organe exécutif siégera à Strasbourg (Bas-Rhin), la capitale régionale, et les travaux de l’assemblée délibérante se dérouleront à Colmar (Haut-Rhin). De plus, la représentation de tous les territoires sera garantie. Deux tiers des conseillers d’Alsace seront élus au scrutin uninominal à deux tours dans des circonscriptions constituées par les actuels cantons Quant au tiers restant, il sera élu à la proportionnelle. La possibilité de disposer de nouvelles et importantes compétences a également contribué à un accord entre les élus alsaciens. Ils y voient un moyen pour leur région de mieux résister à la puissance économique et à l’attractivité de deux voisins : le canton suisse de Bâle et le land allemand du Bade-Wurtemberg.
Rien n’est acquis
Il faudra cependant encore attendre pour savoir si les conseillers généraux et régionaux d’Alsace siègeront au sein d’une même assemblée délibérante. On l’a vu, beaucoup dépendra de la réélection de Nicolas Sarkozy ou de la volonté de la gauche de réformer en profondeur la carte territoriale. Il conviendra aussi que l’instauration du Conseil d’Alsace soit approuvée par les élus régionaux et départementaux réunis en congrès, soumise à l’avis du Conseil d’Etat et acceptée par la population dans le cadre d’une consultation populaire. Enfin, il sera impératif que le « oui » l’emporte à la majorité absolue des suffrages exprimés et représente au moins le quart des inscrits dans chacun des départements. La prudence est d’ailleurs de mise. S’ils font confiance à la fibre identitaire des Alsaciens et à la volonté de ces derniers de se doter d’une région forte, les élus alsaciens savent aussi qu’un referendum n’est jamais une formalité et que ce type de consultation donne souvent lieu à des votes négatifs dont les motivations n’ont rien à voir avec la question posée. Ils ont aussi conscience que placer la barre du « oui » à hauteur du quart des inscrits dans chaque département, exigera une grande mobilisation et une forte participation. Enfin, ils n’ignorent pas qu’en Corse, en 2003, une consultation populaire de même type (approuver la création d’une collectivité unique en fusionnant les exécutifs et les assemblées délibérantes de la Collectivité territoriale et des Départements) avait, de par le manque de mobilisation des défenseurs du « oui », la détermination des partisans du « non » et un conflit social ayant incité à un vote sanction contre Nicolas Sarkozy et Jean-Pierre Raffarin alors respectivement ministre de l’Intérieur et Premier ministre, débouché sur un succès du « non ».
Pain béni pour les « néo-évolutionnistes » ?
Bien entendu, ces informations venues d’Alsace ont eu quelque retentissement chez nous. Elles ont eu pour effet de relancer l’idée ou la revendication d’une collectivité unique. D’autant que les partisans de cette évolution institutionnelle se souviennent qu’en 2003, le « non » ne s’était imposé que de très peu (51 % des suffrages). Leur volonté de remettre le couvert trouve aussi sa force dans le fait que les Alsaciens sont réputés patriotes français jusqu’à la pointe des ergots, passent pour être dotés d’une rigueur gestionnaire toute germanique et sont très attachés à la démocratie locale et à la proximité. Ce qui incite à penser que se doter d’une collectivité unique ne représente intrinsèquement ni une glissade vers le séparatisme, ni le risque d’une gestion aventureuse ou centraliste des territoires. Les « néo-évolutionnistes » peuvent également faire valoir qu’en ces temps de crise et de restrictions budgétaires, regrouper des institutions et des services, et réduire le nombre d’élus, iraient dans le sens d’une diminution de la dépense publique. Il convient toutefois de reconnaître que les « néo-évolutionnistes » ne sont pas encore légion. D’abord parce que, de Dunkerque à Bonifacio, la loi du 17 décembre 2010 portant réforme des collectivités locales, n’a jamais suscité l’adhésion des élus locaux. Ce qui vaut chez nous. Ainsi Paul Giacobbi et Jean-Jacques Panunzi, les deux hommes forts du pouvoir local dans l’île, ont affirmé leur opposition à cette loi. Par ailleurs, du côté de la Collectivité territoriale, on ne note aucune volonté de précipiter ou dynamiser le débat institutionnel. Il est vrai que de tels exercices seraient périlleux si l’on considère que la majorité relative de Paul Giacobbi compte, dans ses rangs, au moins deux groupe opposés à une collectivité unique (Front de gauche, Gauche républicaine). De plus, il n’est pas écrit que les nationalistes soutiendraient une démarche néo-évolutionniste. Ils pourraient être tentés d’attendre d’en savoir plus sur les intentions de la future gouvernance de la France et de proposer une évolution plus tranchée (autonomie) lors du prochain scrutin territorial. Ainsi, il se pourrait bien que les « néo-évolutionnistes » doivent attendre et peut-être se résigner à ce que l’Alsace prenne, au moins durant un an ou deux, la place de la Corse en tant que laboratoire de la décentralisation et des évolutions institutionnelles.
Pierre Corsi