Ayant participé à l’écriture du livre d’Alain Orsoni Un destin corse : le maquis ardent il ne m’appartient pas de porter un jugement sur son contenu. Tout au plus puis-je décrire les raisons profondes qui ont présidé à l’édition de ce témoignage.
Une culture au service des légendes
Nous le savons : les cultures orales créent presque par nécessité des héros, noirs ou blancs et des légendes, sombres ou lumineuses. Les années 80 ont marqué un tournant en Corse dont l’un des aspects a été le riacquistu, cette réacquisition d’une culture indigène tombée en désuétude. Ce mouvement essentiel, s’est traduit en partie par cet art ambivalent qu’est le chant, ce subtil mélange de l’écrit et de l’oral. Les premiers d’entre eux (si on excepte la reprise de chants religieux) ont été créés pour glorifier la cause nationaliste. Parallèlement, la société corse a continué de fonctionner à l’usu anticu, privilégiant l’opposition partisane qui a atteint son paroxysme avec le conflit meurtrier entre factions nationalistes. Alain Orsoni, ou plutôt sa légende est le produit de ces contradictions, du choc d’un archaïsme au long terme avec un désir de modernité. Par orgueil ou par mépris, Alain Orsoni a toujours refusé de combattre ce double caricatural que la rumeur et ses ennemis ont construit et qui a fini par devenir pour lui un danger mortel. Au-delà même de la sympathie que le personnage inspire lorsqu’on le côtoie, et de sa volonté de laisser à ses enfants sa version de sa propre vie, j’ai désiré confronter la légende Orsoni qui se mêle à celle du mouvement clandestin avec une réalité souvent plus prosaïque qu’on ne le croit. Mais sans la connaissance même approximative des faits tels qu’ils se sont déroulés, on ne peut comprendre la trajectoire du mouvement nationaliste et la situation de la Corse moderne. J’ai donc enquêté sur la période à la façon d’un journaliste. J’ai lu de manière exhaustive ce qui avait été écrit sur ces temps tourmentés. Puis j’ai interrogé Alain Orsoni. En tant qu’acteur direct, il avait souvent oublié le contexte d’événements qu’il avait vécus sans le recul nécessaire pour en comprendre les tenants et les aboutissants. Je ne prendrais comme exemples que la démonstration qui est faite dans Destin Corse de l’attitude de la police lors de l’assassinat du coiffeur Schock en 1982 ou encore de celui de Guy Orsoni l’année suivante.
Rechercher une vérité et une réalité
J’ai abordé les déclarations nationalistes de l’époque avec autant de méfiance que celles de la police ou de la justice qui ont été sans l’ombre d’un doute au service d’un pouvoir désorienté. Je ne crois guère à la théorie des complots trop parfaits. La réalité se reconstruit à chaque instant s’imposant le plus souvent à tous et modifiant tous les scénarios initiaux. Alain Orsoni apporte dans son ouvrage de vraies révélations quant aux contacts avec l’Élysée à travers le capitaine Barril. Il décrit un FLNC, composé de militants décidés et convaincus loin de la caricature que veut en donner le commissaire Broussard. Mais il pointe déjà les possibles dérives dans une organisation politico-militaire qui, dans bien des cas, agit en amateur avec peu de moyens et qui va s’avérer incapable de dépasser les tropismes micro-régionaux quelques années plus tard. Surprenante est l’épopée du FLNC parisien décrite ici par l’auteur qui a également été son responsable. Il décrit une organisation qui se résume durant des mois à quatre personnes vivant misérablement de la dérisoire prébende que lui octroie l’organisation mère. Nous voilà loin des clichés de clandestins roulant carrosse et profitant de l’impôt révolutionnaire. Rien n’a été plus passionnant dans la co-écriture du Maquis ardent que d’assister à l’émergence d’une vérité-réalité quant au fonctionnement de la clandestinité corse. Rien ne m’a été plus agréable que de jouer à l’iconoclaste et de brûler les images d’Epinal de la clandestinité pour redonner à l’héroïsme de ses militants sa véritable dimension individuelle.
Une écriture au service d’un auteur
Avant même de commencer le travail en commun je m’étais fixé une règle impérative : rester au service d’Alain Orsoni et de son histoire qui n’était évidemment pas la mienne. J’ai par exemple détesté la campagne I francesi fora et le plasticage des continentaux, actions que j’ai toujours trouvées à la fois stupides et odieuses. Et puis il y a eu les vrais moments d’émotion. Je pense notamment à la visite qu’il rend au coiffeur Schock au nom du FLNC dans sa boutique trouvant alors un vieillard terrifié et sans défense. Je pense aux passages particulièrement émouvants quand Alain Orsoni dépeint la période qui a entouré la mort de son frère Guy. Le Maquis ardent tente aussi de rendre au personnage le lustre qui explique la fascination (positive ou négative) qu’il a exercée sur bien des acteurs de l’histoire corse. Ainsi malgré les risques évidents, il plastique seul le ministère des Finances, l’Hôtel de Ville, le Palais de justice… Capturé, il tient tête au magistrat chargé d’instruire son affaire et l’insulte copieusement provoquant la joie des gardes mobiles qui l’escortent. Le premier volume de ce Destin corse s’achève après qu’un commando de militants a exécuté dans la prison d’Ajaccio deux des assassins de son frère Guy. Rendez-vous pour la suite du Destin Corse dans un an.
GXC