La Corse est une. Certes, lorsqu’elle est aplanie par les cartes marines ou celles de Michelin. Sans cela elle est duelle et même trielle. Cette caractéristique est le produit de la nature et des générations. Montagne dans la mer, a-t-on dit. La barrière centrale aligne ses crêtes et ses cols élevés. Elle sépare plus qu’elle ne réunit le « Pumonte » et le « Cismonte ». Deux entités de cette dualité, bien caractérisées, avec chacune son pouvoir politique, regroupant les « pievi » ou cantons naturels, déjà identifiés depuis presque deux mille ans par le géographe Ptolémée. Mais, si l’on veut bien considérer son état présent, la Corse est composée de trois éléments, le grand Ajaccio, le grand Bastia et le reste du territoire. Les anciens dictionnaires Larousse avaient mis cette devise en tête de leurs volumes : « Un dictionnaire sans exemple est un squelette. » On ne saurait mieux dire. Cet exemple concernant la Corse s’étale actuellement dans la presse : le troisième élément de la Corse territoriale c’est ce qu’on peut nommer « Le désert corse. » Il s‘étend entre les deux grands bassins de population et d’emploi du chef- lieu du Sud, Ajaccio et du chef-lieu du Nord, Bastia. La toute récente réunion des maires de la côte orientale a pointé du doigt cette désertification généralisée. Les gens n’y trouvent plus de médecins parce que l’ancienne génération a pris sa retraite, et que les jeunes docteurs ne s’y installent pas du fait qu’il n’y a plus dans ce désert un nombre suffisant de patients pour les faire vivre. Dans ce désert pour le peu d’habitants qui y résident, les distances pour soigner un malade ne se comptent pas en kilomètres mais en un temps qui, selon le cas, sauve ou achève le malade ou le blessé gravement atteints. A telle enseigne que prenant conscience de cette réalité vitale, le ministre de la Santé vient de décider l’installation à Porto-Vecchio d’une IRM (imagerie par résonnance magnétique) venant compléter celles d’Ajaccio et de Bastia. Voilà la réalité corse, celle d’un désert qui s’étend de jour en jour. Les malades du Grand Sud, de Ghisonaccia à Bonifacio et Sartène, ont besoin de centres de santé accessibles. Un premier pas à noter. Permettre le repeuplement du désert corse est devenu une ardente nécessité prioritaire. Pendant ce temps, certains voudraient, semble-t-il, accentuer la centralisation de la Corse et mettre en route, à nouveau, une énième réforme institutionnelle. La centralisation sur Ajaccio d’un seul pôle de décision, avec le surcroît de concentration économique qu’induira nécessairement le centralisme politique entraînera non seulement l’accentuation de la désertification dans le Grand Sud, mais aussi l’affaiblissement de Bastia comme pôle de développement de la Haute-Corse et un affaissement de tout ce territoire, tant de la Haute-Corse que de la Corse-du-Sud. On l’appelle aussi de manière approximative la Corse de l’intérieur. Bastia est bien placée sur les axes maritimes Nord-Sud. Sa proximité avec Nice, Gênes et Livourne, la commodité et la modicité du coût des car ferries en font la porte de l’Europe. De tels atouts lui confèrent son dynamisme économique. Il serait regrettable que celui-ci subisse un coup d’arrêt par la suppression des centres administratifs de décision. Ne voit-on pas déjà tous les établissements publics régionaux (l’hôpital régional par exemple) converger vers Ajaccio comme si la chose allait de soi ? Il ne faut pas destituer Bastia. Ne pas écouter ce cri d’alarme reviendrait à diviser les Corses comme à réduire les chances d’un développement équilibré de la Corse entière. Pourquoi revenir sur ce que les Corses avaient refusé par le référendum de 2003 (Merci pour le respect du vote populaire n’est-ce pas ?) Il est dans l’intérêt de toute la Corse de ne pas créer les conditions d’une situation qui risquerait de déboucher sur ce que l’on pourrait appeler « Ajaccio et le désert corse » pour reprendre le titre du livre de Jean-François Gravier qui dénonça en son temps « Paris et le désert français ».
Marc’Aureliu Pietrasanta