Au lendemain des élections législatives, faute de relève reconnue et de vision stratégique, la gauche apparaît affaiblie et menacée dans les deux grandes villes insulaires.
Beaucoup se risquent à considérer possible, voire certaine une défaite de la gauche bastiaise en 2014, à l’occasion des élections municipales. Plusieurs facteurs abondent en ce sens. D’abord, la dynamique électorale apparaît défavorable. Au second tour du scrutin municipal de mars 2008, la gauche bastiaise a totalisé 8.087 voix, l’emportant de 2.544 voix sur l’ensemble de ses opposants et obtenant une majorité absolue (56,89%). Au second tour du scrutin territorial de mars 2010, elle a réuni 5.229 voix (43,10%), devançant Femu a Corsica (3.713 voix), la droite (1.999 voix) et Corsica Libera (1.191 voix). Mais elle est devenue minoritaire de 1 674 suffrages, l’ensemble de ses opposants atteignant 6.903 voix. Le 17 juin dernier, au second tour des élections législatives, avec le soutien des partis de gauche PRG/PS/PCF, Jean Zuccarelli (5.000 voix, 39,56%) a devancé l’autonomiste Gilles Simeoni (4.123 voix, 32,62%) et l’UMP Sauveur Gandolfi-Scheit (3.515 voix, 27,81%). Mais si l’on additionne les suffrages des deux opposants (7 638 voix), il apparait que la gauche bastiaise a encore perdu du terrain. Elle accuse un retard de 2.368 voix. De quoi l’inquiéter alors que la ville bruisse d’une possible entente entre le leader de la droite bastiaise Jean-Louis Milani, qui vient d’annoncer sa candidature, et Gilles Simeoni qui le sera très probablement. La gauche bastiaise a d’autant plus matière à s’inquiéter qu’elle semble se fissurer. En effet, l’intention déclarée de François Tatti de conduire la liste d’union de la gauche en 2014 et la volonté prêtée à Jean Zuccarelli de faire de même, fragilisent le socle radical/communiste et divisent les élus. Aussi, beaucoup de militants, de sympathisants et d’électeurs sont désemparés et consternés, alors que d’autres prennent parti et se regardent en chiens de faïence. Ceci n’est bien sûr pas sans conséquence sur l’administration municipale. Les cadres et les agents vivent de plus en plus mal les tensions engendrées par la discorde. Pour ne rien arranger, le PS qui est soupçonné ou accusé de n’avoir pas mobilisé son électorat en faveur de Jean Zuccarelli lors du récent scrutin législatif, ne s’interdirait pas de partir sous ses propres couleurs aux municipales. Ceci afin de faire valoir une force qu’il juge aujourd’hui sous-estimée, et de monnayer au mieux de ses intérêts son ralliement au second tour. Enfin, au sein de l’équipe municipale, nombre d’anciens s’inquiètent d’être sacrifiés sur l’autel du « jeunisme ». A une relève manifestement mal préparée, s’ajoute aussi un manque de lisibilité de l’action municipale que ne saurait compenser un bilan plus que convenable. En effet, une addition de belles réalisations et des finances saines ne suffisent plus, de nos jours, à séduire une population. Les habitants ont besoin d’un projet global et fédérateur, qui leur apparaisse valorisant et les incite à s’identifier à leur ville et à une équipe municipale. Les opposants promettront le changement et de nouveaux horizons. La majorité sortante, même renouvelée, ne pourra se contenter d’un bon bilan et de projets disparates.
Tonton était prévenu
La gauche ajaccienne n’est pas non plus bien portante. Maire d’Ajaccio et président de la Communauté d’Agglomération du Pays Ajaccien (CAPA), appartenant au camp présidentiel et à la majorité territoriale, Simon Renucci a été défait aux législatives par Laurent Marcangeli (UMP). Le plus préoccupant pour le battu est que son vainqueur est arrivé en tête à Ajaccio, l’y devançant de 800 voix. Ce double revers a représenté plus qu’une alerte. C’est le tocsin qui s’est fait entendre. Pourtant la gauche était prévenue. En révélant une nouvelle génération (Laurent Marcangeli, Jean-Jacques Ferrara, Pierre Cau, Stéphane Vanucci) en mesure de remplacer les caciques et d’en finir avec les querelles fratricides, les cantonales de mars 2011 avaient signifié le renouveau de la droite ajaccienne. De son côté la gauche n’avait pas réussi à exploiter la victoire de Paul Giacobbi aux Territoriales de mars 2010. Seul un mauvais report à droite lui avait permis de gagner un canton, François Casasoprana l’ayant emporté de justesse face à Jean-Jacques Ferrara. Il convient cependant de souligner que la gauche ajaccienne n’avait guère brillé aux Territoriales. Au second tour, elle n’avait totalisé que 34,47% des suffrages. Elle est d’autant plus menacée qu’Ajaccio est une ville dont les habitants penchent volontiers pour la droite populaire qu’incarne le bonapartisme. Cela a d’ailleurs encore été vérifié. La ville impériale a accordé une majorité confortable à Nicolas Sarkozy (55,74%) à l’occasion des présidentielles. Quant à Laurent Marcangeli, il a construit son succès aux législatives en défendant sans complexe les valeurs de la droite, ainsi qu’en surfant sur les particularismes ajacciens et en affirmant sa volonté de les défendre. Pour contenir la fougue de la jeune droite qui la mordra aux mollets pour la faire vaciller puis tomber, la gauche ajaccienne ne pourra se contenter de lui opposer sa vielle garde au discours imprécis, de faire les yeux doux aux autonomistes de Femu a Corsica et de défendre un bilan estimable. Il lui faudra aligner des hommes et des femmes susceptibles de soutenir la comparaison avec le look moderne et le discours idéologiquement clivant de Laurent Marcangeli et ses amis. Elle devra aussi donner aux autonomistes des gages bien plus importants que la transformation de la Maison Carrée en « Casa Cumuna ». Enfin, étant confrontée au réveil de l’identité ajaccienne dans lequel Marcangeli et ses amis croient voir un soleil d’Austerlitz, elle n’échappera pas à l’impérative nécessité d’élaborer un projet global pouvant faire rêver le peuple ajaccien.
Pierre Corsi