Le procureur général près de la Cour de Bastia, Marc Desert, a récemment donné une interview à Corse Matin très curieusement titrée "On ne peut pas dire que la justice est inefficace". Il a fait honnêtement le point sur les dossiers criminels et pourtant en revient dans sa conclusion aux mensonges officiels.
Un procureur précis
Difficile de ne pas être d’accord avec la méthode d’un procureur qui avec beaucoup de franchise, offre aux lecteurs de Corse Matin les chiffres de la délinquance corse et ceux de la justice. Il use parfois de la langue de bois ou de formules tautologiques qui représentent une perte de temps ("La JIRS est toujours décriée par les mêmes et seulement par les mêmes" qui ressemble à "La pluie ça mouille surtout quand il pleut"). On ne représente pas le pouvoir impunément. Cependant la précision n’a de valeur que si elle correspond aux chiffres que l’on donne aux journalistes. Or le taux d’élucidation par exemple tient à la conception extrêmement souple de la présomption d’innocence incluse dans le raisonnement de ce magistrat : "Le taux d’élucidation de ces affaires [les règlements de comptes liés au crime organisé] ou en voie d’élucidation [sic] est de 30%". Faut-il rappeler à M. le procureur que l’élucidation du dossier dépend de son issue judiciaire et non de ses propres considérations. Et qu’en attendant le mis-en-examen est présumé innocent. À la page suivante, on apprend que ces 30% se divisent en 24% en voie d’élucidation (et donc non élucidés) et 6% d’affaires élucidées. Pour plus de précision, les affaires dites élucidées par la JIRS seraient au nombre de 2 parmi lesquelles la tentative d’assassinat contre Alain Orsoni qui, fort heureusement, n’a pas abouti. Pour faire court, l’unique affaire résolue par la JIRS est celle de la SMS qui, si on en croit les condamnations se résume à une affaire d’abus de biens sociaux. C’est bien maigre pour une juridiction spéciale dotée de moyens exceptionnels. D’autant que dans le même temps, la justice corse a obtenu deux fois plus de résultats. En d’autres termes, le procureur démontre sans le vouloir ce que les détracteurs de la JIRS affirme : cette institution est parfaitement inopérante.
Deux poids deux mesures
Plus gênante est la nouvelle que donne le site Mediapart. Tous les policiers de la BAC Nord impliqués dans divers trafics et pour certains soupçonnés d’avoir trempé dans l’assassinat d’un indic, ont été réintégrés dans la police. Qu’en pense le procureur Dallest qui, après ignorer les faits durant des années, les avait durement dénoncés quand il devenait impossible de les passer sous silence ? Mieux, le policier qui avait dénoncé la pourriture de ses collègues en témoignant sous X est désormais le seul à avoir été chassé de la police nationale. On se dirait dans une série américaine du genre "The Shield" ou "Serpico". Selon Mediapart, cette conclusion "morale" aurait été le fait des pressions du syndicat Alliance et du laxisme du ministre Valls, soucieux de conserver la confiance des policiers. Il est tout simplement dommage que ces derniers couvrent systématiquement les dérapages incontrôlés d’une infime minorité de leurs collègues au nom d’une conception fascisante de l’ordre. Cette attitude médiocre du ministre Valls, corroboré par la justice locale si prompte à stigmatiser "la mafia corse" aurait eu pour contrepartie le lâchage par le pouvoir du président du Conseil général des Bouches-du-Rhône et l’autorisation de donner un coup de karcher sur les endroits les plus sales du département. On se souviendra que le PS et Martine Aubry avaient soutenu Jean Noël Guerini lorsque les affaires avaient vu le jour. Nul doute que cela aura des répercussions en Corse. La JIRS a dans son collimateur Bernard Squarcini, ci-devant responsables des services secrets français dont le nom a maintes et maintes fois été nommés dans les affaires corso-marseillaises. Petite bizarrerie journalistique : Jacques Follorou auteur de "La guerre des parrains corses" oublie ni plus ni moins de citer ce personnage, épargnant ainsi le rôle occulte joué par les services secrets dans l’extension d’un système mafieux en Corse mais aussi dans la région phocéenne. La justice négocie donc ses maigres avancées et elle le fait au risque de donner l’impression d’être totalement boiteuse, chemin clopin clopant, copin coquin.
GXC