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Un Etat irresponsable et coupable

vendredi 12 juillet 2013, par Journal de la Corse

Nucléaire

Un Etat irresponsable et coupable

« Mensonge d’Etat », l’accusation est grave mais à la hauteur des obstacles rencontrés dans la quête de la vérité concernant les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl.

Réalisée par un groupement de chercheurs établi à Gênes, sous la forme d’un rapport de 500 pages, les conclusions d’une « Enquête épidémiologique rétroactive concernant les conséquences du nuage de Tchernobyl sur les populations de Corse » viennent d’être remises à la Collectivité territoriale de Corse qui l’avait commandée. L’enquête a mobilisé 25 chercheurs et ceux-ci ont fortement impliqué des acteurs insulaires (notamment des médecins endocrinologues libéraux). L’équipe de recherche a examiné 14000 dossiers médicaux archivés dont 5500 dossiers « complets » concernant des patients ayant consulté avant et après l’explosion qui avait gravement endommagé la centrale nucléaire ukrainienne. Les conclusions de cette enquête indépendante sont édifiantes. Elles confirment que la catastrophe nucléaire de Tchernobyl survenue en avril 1986 a provoqué une contamination radioactive ayant entrainé une multiplication des troubles thyroïdiens. Selon les chercheurs italiens, le nombre de cancers de la thyroïde a augmenté de 28,29 % chez les hommes. Quant à celui de thyroïdites, il a fait un bond de 55,33 % chez les femmes et de 78,28 % chez les hommes. Enfin, le risque de thyroïdite chez les moins de 18 ans exposés au nuage de Tchernobyl, a augmenté de 62,5 %. Par ailleurs, il a été observé une augmentation des leucémies aiguës. Il s’est ainsi définitivement avéré que les autorités françaises, après avoir fait preuve de légèreté dans le cadre de la gestion de crise, se sont bien gardées d’évaluer les conséquences sanitaires de la catastrophe.

« Mensonge d’Etat »

Trois jours après l’explosion du réacteur nucléaire, le directeur du Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) avait déclaré que cela ne menaçait personne, sauf peut-être dans le voisinage immédiat de l’usine. Parallèlement, carte à l’appui, la séquence météo d’Antenne 2, chaine de service public, avait suggéré qu’aucune contamination ne menaçait, l’anticyclone des Açores étant censé détourner le nuage radioactif. Le lendemain, malgré le constat d’une augmentation anormale du niveau de radioactivité affectant le sud-est de le France, les autorités concernées n’avaient préconisé aucune mesure particulière de santé publique, alors que de nombreux pays européens appliquaient des mesures sanitaires drastiques. Durant la période de crise, la ligne officielle n’a donc jamais cessé d’affirmer que le niveau de contamination était au-dessous des seuils d’alerte. Depuis, les autorités ont persisté dans le déni. Elles ont aussi opposé la politique de la sourde oreille aux individus ou associations dénonçant les pathologies provoquées par la contamination radioactive. L’enquête infirme ces positions officielles et devrait permettre aux associations de patients de demander réparation en justice. C’est la conviction de Josette Risterucci qui préside la commission Tchernobyl de l’Assemblée de Corse. Evoquant un « mensonge d’Etat », la conseillère territoriale Front de gauche émet en outre le souhait que d’autres régions françaises emboitent le pas à la Corse dans sa démarche d’établissement de la vérité et de soutien aux victimes dans leur demande de réparation. « Mensonge d’Etat », l’accusation est grave mais à la hauteur des obstacles rencontrés dans la quête de la vérité. Pour surmonter le déni permanent, la rétention d’information, la confusion orchestrée et la polémique entretenue, la Collectivité Territoriale a en effet dû se résoudre à financer à hauteur de 300 000 euros l’enquête sanitaire italienne et à ainsi dépasser les limites de son domaine de compétences.

En Polynésie et au Sahara aussi…

Cette volonté de dissimuler la vérité apporte de l’eau au moulin de ceux qui dénoncent l’influence du lobby du nucléaire sur les instances décisionnelles françaises. Mais, surtout, elle confirme la faculté des animaux à sang froid de la politique nationale et de la technocratie à produire des comportements irresponsables et coupables au nom d’une raison d’Etat ayant érigé le nucléaire au rang d’intérêt aussi vital qu’intouchable. Et l’approche par l’Etat des dossiers polynésien et saharien n’incite pas à nuancer ce jugement. La Polynésie a été exposée aux radiations des essais nucléaires conduits par la France entre 1966 et 1974. Ceuxci ont provoqué des retombées massives de plutonium, ce que la France a toujours nié ou minimisé. Or, la Commission du secret de la défense nationale ayant enfin accepté la communication de documents portant sur ces tirs nucléaires, il est ressorti que l’Armée reconnaissait qu’un tir ayant eu lieu en 1974, avait provoqué des retombées jusqu’à Tahiti, l’île la plus peuplée de Polynésie. La radio exposition aurait alors atteint « 500 fois la concentration maximale admissible en une heure ». Par ailleurs, ces documents déclassifiés permettraient d’estimer à plus de 350, le nombre de retombées radioactives sur la Polynésie ». Concernant les essais effectués au Sahara algérien, ils indiqueraient l’exposition grave de nombreux militaires à des radiations. De leur côté, les autorités algériennes soulignent depuis longtemps un impact sanitaire et environnemental plus que désastreux.

Pierre Corsi

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