Le rapport Carcassonne confirme les blocages d’une France recroquevillée sur une conception caporaliste de la gestion de la cité et de la valorisation de ses différences.
Un collège de constitutionnalistes suggère que la Corse obtienne le statut et les pouvoirs des territoires ultra-marins. Il formule cette proposition dans le cadre des travaux pilotés par la Commission des compétences législatives et réglementaires. Installée le 26 mai 2010 et présidée par Pierre Chaubon, cette commission a pour mission de réfléchir aux moyens pour la Collectivité Territoriale d’améliorer l’exercice de ses compétences. Ayant travaillé sous la direction de Guy Carcassonne- qui avait participé au Comité de réflexion sur la modernisation des institutions installé par Nicolas Sarkozy- les constitutionnalistes précisent que cette évolution institutionnelle nécessiterait une révision de la Constitution en mentionnant la Corse dans les articles 72, 73 et 74. Retenir et mettre en œuvre leur proposition permettrait de concrétiser une série d’évolutions évoquées depuis trois ans par de nombreux acteurs politiques insulaires : réforme du cadre institutionnel en particulier par la possibilité enfin reconnue d’adapter les textes législatifs aux spécificités du territoire insulaire ; statut de résident ; transfert de fiscalité ; co-officialité de la langue corse. Ce qui reviendrait à faire de la Corse une région véritablement autonome. Pourquoi Guy Carcassonne et ses confrères vont-ils aussi loin, au risque de provoquer le courroux des élus insulaires et continentaux opposés à l’autonomie de la Corse ? La réponse est simple : la Corse ne dispose que de compétences normatives spécifiques faiblement dérogatoires et n’a pu les mettre en œuvre. En clair : les élus territoriaux insulaires n’ont pas la possibilité d’influer sur l’élaboration de dispositions législatives et réglementaires adaptées aux réalités de l’île Pour preuve, alors que l’Assemblée de Corse a maintes fois demandé l’adaptation de textes législatifs ou réglementaires, Paris a fait la sourde oreille. Le collège de constitutionnalistes rappelle d’ailleurs que rien n’oblige Paris à se montrer attentif : « L’avis de l’Assemblée de Corse reste purement facultatif et ne lie aucunement les autorités nationales ». Il précise aussi que le Premier ministre est libre de ne pas répondre à une proposition législative ou réglementaire formulée par une assemblée locale, et que « tout dispositif de contrainte serait inconstitutionnel. » Le collège de constitutionnalistes justifie sa proposition en évoquant « les caractéristiques géographiques, historiques et culturelles de la Corse » ainsi que « les contraintes particulières qu’elle subit, en particulier du fait de l’éloignement et de l’insularité. »
Rien ne sera facile
Comme le mentionne le collège de constitutionnalistes, aller dans le sens d’une autonomie de la Corse ne serait pas contradictoire avec ce qui existe au sein de l’Union Européenne. Ses grands Etats, l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni et l’Allemagne reconnaissent en effet d’importants pouvoirs autonomes à leurs régions. L’instauration d’un statut de résident semble présenter davantage de difficultés. Toutefois Guy Carcassonne et ses confrères font remarquer qu’en Polynésie, à Saint-Barthélémy ou à Saint-Martin, il existe des parades juridiques permettant de combattre la spéculation immobilière. Il est prévu « des mécanismes de préemption de la part des collectivités lorsque des transferts de propriété sont envisagés en faveur de non-résidents ». Toutefois le collège de constitutionnalistes admet aussi que ce dispositif de préemption n’est pas une panacée. En effet, y recourir massivement coûterait financièrement cher mais serait recevable au nom de l’intérêt général, et ne pas en passer par là risquerait de provoquer un rejet par le Conseil constitutionnel de toute autre disposition visant à interdire ou soumettre à conditions l’acquisition ou la cession de biens immobiliers insulaires par des non-résidents. En revanche, Guy Carcassonne et ses confrères ne sont guère optimistes concernant la possibilité d’instaurer une co-officialité des langues corse et française. Les éminents juristes reconnaissent volontiers que « la disparition de l’usage du corse serait aussi grave que la perte d’un monument artistique national », mais jugent peu probable la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. La récente reculade du président de la République vient d’ailleurs de leur donner raison. En outre, ils ne croient pas du tour à la possibilité que soit acceptée la moindre entorse à l’alinéa 1 de l’article 2 de la Constitution affirmant que « La langue de la République est le français ». A y regarder de plus près, rien ne sera facile. Le rapport Carcassonne confirme les blocages d’une France recroquevillée sur une conception caporaliste de la gestion de la cité et de la valorisation de ses différences. Il invite implicitement les Corses, s’ils veulent vraiment garder un peu d’eux-mêmes dans une France désespérément centraliste et réductrice des spécificités, et dans un marché mondialisé sans foi ni loi, à se mobiliser pour conserver un peu de leur droit à une bonne gouvernance et au respect de leur culture et de leur langue. Au fond, tout est dit, à nous de jouer gagnant ou perdant.
Pierre Corsi