La « Patrie des droits de l’Homme » est loin d’être un modèle à suivre en matière de condition carcérale. Un syndicaliste et une ministre l’ont récemment confirmé.
Après la fouille contestée opérée au centre pénitentiaire de Borgo à l’occasion de la Saint-Sylvestre, et les réactions ayant mis en cause les surveillants, le secrétaire national FO des personnels en tenue, en déplacement en Corse, a tenu à mettre les choses au point, tout en essayant de calmer le jeu et de poser les problèmes de fond. En effet, s’il a souligné le « travail remarquable » des surveillants, révélé qu’à Borgo « les agressions contre les surveillants sont régulières » et déploré que l’on veuille « se faire de la publicité sur le malheur des personnes incarcérées » à partir d’accusations « graves et scandaleuses », il a aussi dénoncé les conditions de détention prévalant à la prison d’Ajaccio, les qualifiant de « scandale d’État ». Ce constat n’est pas surprenant et s’inscrit, malheureusement, dans la réalité trop bien connue des prisons françaises. Il est d’ailleurs partagé par la Garde des Sceaux Christiane Taubira qui a récemment annoncé la fermeture d’établissements vétustes et insalubres, et la mise en œuvre d’un plan de rénovation de plusieurs prisons.
La dignité et la famille avant tout
Ceci permet de rappeler que la plupart des détenus ne contestent pas la prison ou le travail des personnels pénitentiaires, mais revendiquent que soit mis fin à des situations attentatoires à leur dignité. Ils demandent des installations sanitaires préservant l’hygiène et l’intimité. Ils dénoncent l’insalubrité de leurs cellules. Ils s’insurgent contre des règles s’un autre âge favorisant des situations injustes et arbitraires. Enfin, ils souhaiteraient que ne soit pas ajoutée à une sanction disciplinaire (mitard), une sanction pénale (retrait de réduction de peine). Les détenus expriment aussi un besoin de maintien du lien familial. En ce sens, ils réclament d’être emprisonnés dans un établissement proche de chez eux et que soit augmentée la durée des parloirs. Les détenus en situation de détention préventive, se plaignent pour leur part d’être soumis à un régime de détention particulièrement éprouvant : peu de « promenades », limitation des contacts avec l’extérieur, pas d’activité de réinsertion, forte promiscuité… Ils sont d’ailleurs les premières victimes du fléau des prisons : le suicide. Enfin, beaucoup de détenus vivent dans la crainte de la pauvreté dans les murs et de l’exclusion une fois libérés. Pour la surmonter et préparer leur avenir, ils se disent prêts à travailler. Cependant, ils s’insurgent contre l’exploitation que constitue le travail carcéral, et demandent qu’il soit rémunéré dans les mêmes conditions que le travail à l’extérieur et que le Code du travail soit respecté.
Voir changer le regard de la société
Enfin, une grande majorité de détenus demande une véritable politique de réinsertion sociale. Ce qui les conduit à revendiquer davantage d’enseignement ou de formation, de travailleurs sociaux et d’intervenants extérieurs, de mesures alternatives à l’emprisonnement. Ils souhaitent en ce sens des réformes comme la limitation des durées de placement en détention provisoire, le recours accru au contrôle judiciaire socio-éducatif et l’aménagement des peines. En réalité, nombre de détenus sont loin d’être installées dans la délinquance ou la criminalité. D’où un vécu carcéral difficilement assumé, et le besoin fort de le ressentir comme une étape vers une nouvelle chance. En 2004, le Conseil de l’Europe avait dénoncé le « traitement inhumain et dégradant » des détenus dans les prisons françaises. En 2005, le commissaire européen aux droits de l’homme avait affirmé n’avoir rien vu de pire en Europe, sinon en Moldavie, que le dépôt des étrangers sous le Palais de Justice de Paris. A ce jour, chez nous ou ailleurs, rien ne semble avoir vraiment changé.
Alexandra Sereni