Les prétextes ne manquent pas pour s’opposer à une renaissance des langues régionales. Pourtant, leur renaissance présenterait bien des avantages.
La Corse a participé à la journée d’action nationale visant à rappeler aux candidats à la présidence de la République la revendication d’une véritable politique de valorisation des langues régionales parlées en France. Autour de la revendication « Nos langues, nos cultures, un droit, une loi », des milliers de défenseurs des langues régionales ont manifesté samedi dernier dans plusieurs villes de France pour réclamer de meilleures conditions d’enseignement ainsi que la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. A Quimper, ils étaient près de 10000 pour le breton ; à Toulouse, près de 30.000 pour l’occitan ; à Perpignan, plus de 5000 pour le catalan ; à Bayonne, près de 7000 pour le basque. Des centaines d’Alsaciens, de Flamands et de Savoyards sont aussi descendu dans la rue à Strasbourg, Lille et Annecy. Ces manifestations ont opportunément rappelé que le droit de pratiquer une langue régionale reste dénigré. Ainsi, lors d’un meeting récemment tenu à Marseille, Nicolas Sarkozy a affirmé : « Quand on aime la France, on ne propose pas de ratifier la charte des langues régionales et minoritaires ». Pour justifier ce refus, il a brandi le danger communautariste : « C’est le communautarisme qui est au bout du chemin et pas la défense d’un magnifique patrimoine de langues et de cultures qui font la richesse de notre pays ». Cette prise de position a rappelé que les prétextes ne manquent pas pour s’opposer à une renaissance des langues régionales.
Le problème de la transmission
Les cyniques affirment : « A quoi bon agir, vu que personne ne parle ou ne veut parler le Corse, le Basque, le Breton… » Or, près de 3,5 millions de Français utilisent encore une langue régionale. Le problème réside non pas dans l’usage mais dans la transmission. Aujourd’hui, seules trois personnes sur cent parlent une langue régionale avec leurs parents. Les utilitaristes estiment que les langues régionales ne servent à rien et qu’il serait plus judicieux de consacrer des moyens supplémentaires à l’enseignement de l’anglais qu’à celui de l’occitan ou du créole. Ce simplisme est dénoncé par les linguistes. Ceux-ci rappellent que les langues sont un lien direct avec ce qui a construit l’identité plurielle de la France. Ainsi, le breton est une langue celtique rattache au passé gaulois, alors que le francique lorrain, encore en usage en Moselle, est proche de la langue que parlait Clovis. Il faut aussi compter avec les adeptes du cocorico qui affirment la suprématie de la langue française. Or, linguistiquement, le français n’est qu’une langue comme les autres. Il découle d’une langue d’oïl devenue la langue nationale parce qu’elle était la langue du pouvoir royal. C’est la volonté politique de François 1er (ordonnance royale de Villers-Cotterêts faisant du français la langue officielle de l’administration et du droit) et non des qualités linguistiques qui, en 1539, a imposé le français. Les langues régionales sont aussi confrontées aux fatalistes qui assurent qu’elles sont condamnées par la mondialisation. Or, la réalité est plus complexe. Il apparaît que les langues régionales facilitent certains échanges commerciaux et flux touristiques transfrontaliers. De plus, elles participent à la valeur ajouté que représente l’identité locale aux yeux de clientèles en quête d’authenticité et de nombreux touristes. On peut aussi considérer que valoriser la défense des langues régionales ne peut que renforcer la résistance du français à l’esprit marchand visant à faire de l’anglais la langue unique de la planète. Les élitistes ne manquent pas de souligner que privilégier l’anglais est la norme incontournable d’une éducation profitable. D’où leur conseil de ne pas perdre son temps à étudier le corse ou le créole. Les linguistes rétorquent que maîtriser, dès son jeune âge, une deuxième langue permet d’en apprendre plus facilement d’autres.
Un patrimoine de la France
Il convient aussi de se méfier des optimistes qui soutiennent que la question des langues régionales ne serait plus de saison car elles seraient reconnues et suffisamment enseignées. Il est vrai qu’elles ne sont plus interdites ou stigmatisées. Elles sont aussi enseignées quelques heures par semaine à l’école publique ou à plein temps dans des écoles associatives. Les médias leurs concèdent des créneaux. La Constitution reconnaît qu’elles appartiennent au patrimoine de la France. Tout cela ne saurait toutefois masquer que faute de politiques d’ensemble incitant à les parler et à les valoriser, les langues régionales restent dans la marginalité. Cette situation est crapuleusement interprétée par les culpabilisateurs. A les en croire, les langues régionales seraient sur le déclin parce que plus personne n’aurait envie de les parler. Il est certes avéré que de nombreux parents ont choisi de s’autocensurer en matière d’usage domestique et de transmission, pensant ainsi favoriser la réussite scolaire et sociale de leurs enfants. Mais cette autocensure n’avait rien de volontaire, elle s’est faite sous le poids d’une pensée dominante, d’une administration et d’une vie économique imposant l’usage du français, et de vexations à l’encontre des enfants qui s’obstinaient à parler corse ou breton. Poussés dans leurs derniers retranchements, les plus irréductibles opposants aux langues régionales affirment qu’elles servent le séparatisme. On peut leur opposer que nombre d’indépendantistes ne parlent pas la langue de leur région, ou leur rappeler que le refus de prendre en compte une question linguistique peut inciter des individus ou des peuples à vouloir rompre avec les Etats qui en sont les instigateurs. En effet, rejeter une langue suggère que l’on agit de même avec l’individu et le peuple qui la pratique ou souhaite en retrouver l’usage. En cette période électorale, l’existence de ce rejet peut d’ailleurs donner matière à opérer un choix entre les candidats, et en quelque sorte à voter avec la langue. Pourquoi voter pour un candidat qui nie l’individu auquel il demande sa confiance ?
Pierre Corsi