Que sont mes amis devenus ?
La condamnation d’Yvan Colonna à la perpétuité est à l’évidence un nouvel échec pour sa défense. C’est aussi une période qui s’achève, marquée par la violence clandestine. Pour Yvan Colonna c’est la période judiciaire qui finit alors que commence celle du combat public.
Les contradictions de la cour
La peine prononcée par la Cour spéciale d’assises est un retour à sa première condamnation aggravée par la peine de sûreté lors du second procès. Elle est en fait l’aveu d’une hésitation puisqu’elle a infligé au berger une peine identique à celle des membres des commandos qui, pourtant n’étaient pas accusés d’avoir tiré sur le préfet. Pour justifier son verdict, les juges ont du gommer les témoignages qui ne reconnaissaient pas Colonna ce qui est pour le moins curieux. À l’inverse, ils ont pris en compte les aveux des membres du commando, les témoignages premiers des épouses. Mais ils ont condamné Yvan Colonna pour son supposé parcours de nationaliste pur et dur, embringué (quoiqu’il le nie) dans la lutte clandestine. Les magistrats ne l’ont pas énoncé ainsi. Ils ont laissé entendre qu’il en était ainsi. La défense leur avait tendu une perche laissant entendre sur leur client pouvait éventuellement être condamné pour association de malfaiteurs (il était au courant du crime qui se préparait), ce qui lui aurait valu une peine de vingt ans. oubliant les fautes majeures commises par les enquêteurs et les magistrats instructeurs. Les juges ont été à la hauteur que l’état attendait d’eux.
Et celles de la défense
Quel paradoxe que cet équipage de brillants avocats qui n’a abouti à d’autre résultat que la perpétuité. À l’évidence, l’entrée dans le jeu de maîtres Dupont-Moretti et Dehapiot avait bouleversé la donne précédente. Exit Maître Maisonneuve. Maîtres Sollacaro et Simeoni ont, quant à eux, été cantonnés à un rôle beaucoup plus modeste que lors des précédents procès. Absente la Ligue des Droits de l’Homme qui avait pourtant joué un rôle important lors des années précédentes. Finie enfin la mobilisation populaire de toutes celles et tous ceux qui s’étaient mobilisé dans la rue au nom de la présomption d’innocence. Le procès a ainsi retrouvé sa scénographie classique, sa théâtralité parfois tragique parfois ridicule. Chacun des avocats a joué sa partition avec brio mais sans grand cohérence. Le résultat de tous ces d’efforts a été à l’opposé des espérances formulées avec insistance lors des plaidoiries. Ce flottement a été évident lors de « l’apparition » de la lettre attribuée à Yvan Colonna. L’un des conseils a parlé d’erreur, un autre d’acte de désespoir pour à la fin parler d’un faux commis par la police. Tout ça pour en définitive entendre Maître Garbarini assumer cette lettre ! Or cette lettre a été l’événement majeur du procès, beaucoup plus que le nouveau scénario avoué par les membres du commando. La lettre, bien que n’étant pas mentionnée par la cour (elle aurait constitué un sérieux motif de cassation) a évidemment pesé lourd dans le jugement définitif. D’autant qu’Yvan Colonna, s’il a nié l’avoir écrite, n’en a pas condamné formellement le sens expliquant qu’elle aurait été confectionnée à partir de morceaux de véritables missives. Autre contradiction : celles des déclarations des membres du commando : ont-ils donné le nom de Colonna sous la pression policière ou par désir de vengeance ? Pourquoi les femmes ont-elles étayées ces accusations elles qui ne partageaient pas les secrets de leurs maris ? Et on pourrait énoncer dix paradoxes de ce type qui ont donné le sentiment d’explications désordonnées et parfois peu convaincantes
Un procès symptomatique
La défense a très certainement manqué de netteté dans son offensive hésitant entre l’association de malfaiteurs passible de vingt ans et conforté par les nouveaux témoignages des membres du commando et celui d’Yvan Colonna et la bataille originelle pour le non-lieu. L’accusé lui-même a paru resté au second plan de son propre procès à l’exception de sa très émouvante déclaration finale. Le sentiment est aujourd’hui celui d’un immense gâchis. En définitive, ce procès a été à l’image du nationalisme corse de ces dernières années : ressentiment, traîtrise, faiblesses, incohérences, regrets… Que reste-t-il des années de braise ? Les troisièmes couteaux de ce qui fut une page d’histoire de notre peuple tentent aujourd’hui de retirer le maximum de profits de leur situation fluctuante. Qui se souvient encore des militants désintéressés de la première heure ? Yvan Colonna et ses anciens amis étaient de ces héros anonymes qui se battaient sans rien espérer de personnel en retour. Depuis le temps a passé rappelant ce poème du grand Rutebeuf : Que sont devenus mes amis qui m’étaient si proches, Que j’aimais tant. Je crois qu’ils sont bien clairsemés ; ils n’ont pas eu assez d’engrais : Les voilà disparus. Ces amis-là ne m’ont pas bien traité : jamais, aussi longtemps que Dieu multipliait mes épreuves, il n’en est venu un seul chez moi. Je crois que le vent me les a enlevés, L’amitié est morte ; ce sont amis que vent emporte, et il ventait devant ma porte. Désormais seule une nouvelle mobilisation peut sortir Yvan Colonna de l’oubliette dans laquelle il a été jeté. Il va donc lui falloir faire confiance à ce peuple pour lequel il s’est si longtemps battu.
GXC