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Non-cumul des mandats : ce n’est pas gagné !

jeudi 31 janvier 2013, par Journal de la Corse

Modifier le statut des sénateurs sans leur accord pourrait être jugé contraire à la Constitution et motiver une censure, par les Sages, de la loi sur le non-cumul.

« Le non-cumul des mandats, nous le ferons » a assuré le Président de la République. Le premier secrétaire du Parti socialiste vient d’insister sur la nécessité de voir adopter la loi sur le non-cumul des mandats et de l’appliquer dès 2014. Le projet de loi portant sur le non-cumul des mandats sera présenté en Conseil des ministres le 27 février prochain. Le texte prévoirait d’empêcher le député ou le sénateur d’obtenir un mandat exécutif local, c’est-à-dire maire ou adjoint, président ou vice-président d’un conseil général ou régional. Seuls les présidents et les vice-présidents des intercommunalités échapperaient au couperet. Le temps des « cumulards » serait donc en passe de s’achever, d’autant que trois-quarts des Français seraient des opposants au cumul. Les « cumulards » n’ont cependant pas dit leur dernier mot car, en Europe, la France reste championne toutes catégories en matière de cumul de mandats. Et les « bonnes raisons » ne manquent pas pour que cela dure : nombre élevé de collectivités territoriales ; Sénat représentant les collectivités territoriales ; nécessité que les sénateurs disposent d’un mandat local pour bien comprendre ce qui se passe sur le terrain ; électeurs souhaitant que le parlementaire soit avant tout le représentant à Paris de leur commune s’il est maire, de leur département s’il est président du Conseil général ; partis politiques préférant investir des candidats à la députation ou au Sénat étant des élus locaux « bien implantés. » Au sein de la classe politique, le projet de non-cumul fait grincer bien des dents. Au sein de l’opposition, si l’UDI de Jean-Louis Borloo semble favorable à l’initiative gouvernementale, la plupart des leaders UMP sont contre. Jean-François Copé assure que « la démocratie est bénéficiaire qu’un grand nombre de ses parlementaires puissent avoir un mandat de maire, car cela permet de conserver les pieds dans la glaise, sur le terrain. » Seul Alain Juppé s’est clairement prononcé contre le cumul : « Nos concitoyens comprennent de moins en moins les cumuls de mandats. » Les « cumulards » peuvent aussi compter sur plusieurs dizaines de sénateurs socialistes. Ceux-ci ont pour chef de file François Rebsamen. Dénonçant le « populisme », le maire de Dijon, président du groupe PS au Sénat, affirme qu’il « est facile de se faire applaudir sur des tréteaux en pourfendant le cumul au prétexte du renouvellement de la vie politique », demande au Sénat de s’opposer à un non non-cumul qui affecterait ses membres, et soutient qu’environ 80 sénateurs PS sur 128 lui sont acquis car le cumul serait consubstantiel à la spécificité du Sénat, représentant des collectivités locales. Il est donc certain que le Sénat rejettera le non-cumul. En effet, seuls y sont favorables une minorité de sénateurs centristes et PS, ainsi que es sénateurs communistes et écologistes. Cependant, comme il existe une majorité de députés favorables au non-cumul et que l’Assemblée Nationale aura le dernier mot sur le Sénat, le projet de loi gouvernemental devrait être adopté.

Gare aux Sages !

Mais cela ne sera pas une partie facile. Le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, pourtant proche de François Hollande, juge que le temps de la limitation des mandats est venu, mais souligne qu’il est « inenvisageable de faire comme si l’avis du Sénat ne comptait pas. » Le président de l’Assemblée Nationale, Claude Bartolone, prévient que la loi sur le non-cumul ne pourra entrer en vigueur en 2014 que si elle permet à un député préférant choisir son mandat local, d’être remplacé à l’Assemblée nationale par son suppléant. « Je ne veux pas d’instabilité durant le quinquennat » explique-t-il, faisant valoir que des élections législatives partielles sont rarement favorables au pouvoir en place et que plus de 50 circonscriptions pourraient être concernées. Claude Bartolone conteste par ailleurs une concession qui pourrait « amadouer » les sénateurs. Selon lui, accepter la création d’un seuil qui permettrait aux maires des petites communes, également parlementaires, d’être exemptés du non-cumul, aboutirait à « surreprésenter la France rurale au Parlement. » Ces obstacles ne seront toutefois pas trop difficiles à surmonter. La véritable menace est celle que brandit Jean-Michel Baylet, le président des radicaux de gauche : « Nous irons jusqu’au Conseil constitutionnel. » Certes, les parlementaires PRG sont peu nombreux et on imagine mal les sénateurs PS saisir le Conseil constitutionnel pour nuire au gouvernement. Mais, dans l’opposition, on n’écarte pas cette possibilité. « Nous saisissons régulièrement le Conseil constitutionnel. Et, généralement, nous avons raison de le faire » rappelle Jean-Claude Gaudin. Le sénateur-maire de Marseille précise pouvoir invoquer les articles 24 et 46 de la Constitution ; le premier affirmant le particularisme du Sénat et le second stipulant que les lois organiques concernant le Sénat doivent être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées. Modifier le statut des sénateurs sans leur accord pourrait donc être jugé contraire à la Constitution et motiver une censure, par les Sages, de la loi sur le non-cumul. Or, l’avis des constitutionnalistes n’est pas vraiment de nature à rassurer le Président de la République, le gouvernement et le PS. Selon le constitutionnaliste Didier Maus, à la lecture de l’article 24, rien n’interdit de faire le même régime pour les sénateurs et les députés, et il serait étonnant qu’un régime identique soit contraire la Constitution. Mais il reconnaît : « Nous ne sommes pas tous d’accord là-dessus. » Evoquant l’article 46, Didier Maus précise que la jurisprudence « n’est pas très favorable au Sénat ». En effet, selon une décision du Conseil constitutionnel du 12 avril 2011 portant sur l’élection des députés et sénateurs : « N’est relative au Sénat qu’une loi qui lui est propre. Et tel n’est pas le cas d’une loi qui concerne les deux Assemblée sur un plan égalitaire ». Mais l’éminent juriste ajoute : « Il y a une controverse juridique (…) Il n’y a que le Conseil constitutionnel qui pourra trancher le moment venu » De quoi alimenter l’espoir des « cumulards ».

Pierre Corsi

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