L’offensive française au Mali était nécessaire pour empêcher l’extension de l’islam radical en Afrique noire. Mais l’attaque islamiste était la conséquence de la chute de Khadafi en Libye. Autre déception, en Tunisie, deux ans après la révolution de jasmin, la Tunisie est de nouveau confrontée à une violence quasi officielle après l’assassinat par balles d’un des leaders de l’opposition du pays, Chokri Belaïd par la milice du parti islamiste au pouvoir, l’Ennahda. Les révolutions dans le monde arabe sont-elles condamnées à servir de marchepieds aux islamistes ?
L’interventionnisme contre le réalisme
L’Afrique moderne est le fruit d’un découpage colonial qui arrangeait les grandes puissances occidentales mais a favorisé après la décolonisation, les conflits intertribaux. La plupart des régimes autoritaires ou tyranniques qui ont pris le pouvoir dans un certain nombre de pays clefs portaient des aspirations qui faute d’être démocratiques étaient laïques. Ce fut le cas pour la Tunisie de Bourguiba, la Libye de Kadhafi, l’Irak de Saddam Hussein, l’Iran du Shah etc. Pour des raisons souvent très complexes auxquelles venait s’ajouter la question des droits de l’homme, les puissances occidentales ont choisi à un moment donné de faire sauter ces verrous de sécurité et d’ouvrir la voie à la volonté populaire. Or, malheureusement pour l’Occident les peuples n’aspirent pas nécessairement à des valeurs imposées dans nos démocraties après des siècles de combat souvent sanglants. De plus, la sur-démographie a créé les conditions d’une révolte qui, depuis la chute du mur de Berlin, prend de plus en plus des aspects religieux. Il arrive un moment où les nantis de la planète doivent réfléchir en termes cyniques. Soit ils désirent la liberté au sens large du terme auquel cas il ne faut pas s’étonner de ce que des partis extrémistes religieux prennent démocratiquement le pouvoir. Après tout, nous avons connu cela avec l’irrésistible montée des fascismes européens. Il y a très exactement 80 ans Hitler accédait on ne peut plus légalement au pouvoir. Mais si nous voulons ou plutôt nous espérons que rien ne change, alors il ne faut pas se lancer dans des opérations aussi risquées que celle d’Irak ou de Libye. C’est le court terme contre le long terme, nos intérêts égoïstes contre ceux de nations qui, a priori, ont autant le droit de choix que nous.
La Tunisie au bord de la guerre civile
Le Maghreb est en proie à une crise sans précédent et aujourd’hui l’Algérie apparaît bien comme le seul gendarme local disposant des moyens nécessaires pour enrayer la vague islamiste. Mais ne demandons pas au régime des généraux d’user de gants de velours. Ils sont des adeptes de la privation de liberté, de la torture et des massacres. Ils sont les seuls qui puissent surveiller les vastes espaces sahariens. Car sitôt les Français partis, les fanatiques réattaqueront le Mali incapable de se défendre seuls. En Tunisie, c’est l’un des principaux opposants qui a été abattu lui qui avait survécu à la dictature laïque de Ben Ali. Chokri Belaïd dirigeait le Mouvement des patriotes démocrates, un parti d’extrême-gauche légalisé en mars 2011, après la révolution. Ce farouche opposant aux islamistes d’Ennahda, le parti au pouvoir, était devenu une personnalité politique très médiatisée. Il représentait notamment le Front populaire tunisien, coalition de groupuscules d’extrême gauche, qu’il avait constituée en octobre 2012. Avocat il était également un défenseur des droits de l’Homme et il avait à ce titre connu la prison sous Bourguiba et Ben Ali. Son assassinat créé les conditions d’un affrontement majeur entre le parti islamiste au pouvoir et l’opposition laïque.
Chronique d’une mort annoncée
Les récentes critiques formulées par Chokri Belaïd à l’égard d’Ennahda peuvent laisser imaginer un désir d’élimination. Ses prises de position radicales le plaçaient pourtant tout en haut de la liste". Une foule en colère est descendue dans la rue et a attaqué les locaux d’Ennahda. Un manifestant a été tué par la police, un corps répressif inchangé depuis la chute de Ben Ali. Les islamistes au pouvoir ont refusé de changer de gouvernement. La situation risque fort de se radicaliser. Quelle sera alors l’attitude des États-Unis et des Occidentaux ? Laisseront-ils s’installer un pouvoir religieux en Afrique du Nord au risque de le voir devenir une base arrière du terrorisme ou interviendront-ils contre un gouvernement légalement élu ? Toute la difficulté du problème se résume à cette difficile équation.
GXC