Le rejet par la droite et le centre de toute réforme constitutionnelle compromet la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
L’UMP de Jean-François Copé a fait savoir au Premier ministre qu’elle rejetterait tous les projets de modification de la Constitution que leur présenterait le Président de la République. L’UDI de Jean-Louis Borloo a affirmé que, « par principe », elle était plutôt hostile à ce que l’on touche à la Constitution. Le PRG de Jean-Michel Baylet s’est prononcé contre la réforme du statut pénal du chef de l’État et la suppression de la Cour de justice de la République. Il est donc impossible à François Hollande d’obtenir au Congrès la majorité requise (3/5ème des parlementaires) pour toute réforme constitutionnelle. Il n’y aura donc pas de réunion du Congrès à Versailles cette année. Ce blocage pourrait contraindre le Président de la République à renoncer à des réformes majeures qu’il avait promises portant sur le statut pénal du chef de l’État, le Conseil supérieur de la magistrature, la suppression de la Cour de justice de la République, la remise en cause du statut de membres de droit du Conseil Constitutionnel accordé aux anciens chefs de l’État, l’inscription de la démocratie sociale dans la Constitution, le vote des étrangers aux élections locales… Fidèle à elle-même, la classe politique française se montre incapable de moderniser et démocratiser, dans la sérénité et la concertation, le cadre institutionnel. Il faudra sans doute une crise politique majeure pour que se dessine une VIème République. Reste bien sûr la possibilité de recourir au référendum, mais il parait peu probable que François Hollande s’aventure sur ce terrain compte tenu de l’impopularité de sa politique d’austérité. En effet, l’intéressé sait très bien que les électeurs français ont une fâcheuse propension à utiliser le cadre référendaire pour signifier leur mécontentement ou leurs frustrations. Le blocage n’est pas anodin pour les Corses car il compromet la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. En effet, ratifier la Charte nécessite une modification constitutionnelle (d’autant que l’article 2 de la Constitution stipule que « La langue de la République est le français »). Cette incidence concernant les Corses mais aussi les Bretons, les Basques et quelques autres, n’a pas échappé à certains parlementaires de gauche et ceux-ci tentent de contourner l’obstacle constitutionnel. Ainsi le président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, le député PS du Finistère, Jean-Jacques Urvoas, a préconisé de consulter le Conseil constitutionnel sur la possibilité de ratifier la Charte sans révision préalable de la Constitution. L’honorable parlementaire semble espérer une bonne volonté du Conseil, mais rien, vraiment rien, n’indique qu’il puisse en être ainsi.
Un Conseil constitutionnel jacobin et partisan
Outre qu’il n’a jamais manifesté la moindre bienveillance pour les spécificités culturelles ou linguistiques, le Conseil constitutionnel, encore très ancré à droite, n’est guère enclin à faciliter les choses à la majorité de gauche. Il l’a d’ailleurs récemment prouvé en provoquant la mise à mort immédiate des dispositions des arrêtés Miot et en rejetant l’instauration d’une imposition visant les plus riches. En réalité, conscient que rien ne sera facile, Jean-Jacques Urvoas cherche sans doute davantage à gagner du temps, qu’à convaincre des chances de voir évoluer la doctrine jacobine et la tendance partisane du Conseil. Et au moins deux arguments plaident en ce sens. D’une part, la Commission des lois de l’Assemblée nationale qu’il préside et qui a dernièrement planché sur les implications constitutionnelles de la ratification de la Charte européenne des langues régionale ou minoritaires, a conclu qu’une révision constitutionnelle serait nécessaire pour que la France ratifie ladite Charte. D’autre part, pour en arriver à cette conclusion, la Commission s’est attachée les compétences d’experts plus que reconnus. Un juriste expert auprès du Conseil de l’Europe et trois professeurs de droit public ont en effet étudié le dossier afin d’identifier les contraintes juridiques constituant un obstacle à la ratification de la Charte et examiner les moyens de les surmonter. Or leur avis s’est avéré aussi explicite que définitif. Considérant que la France a signé la Charte le 7 mai 1999 et que, par une décision rendue le 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel avait estimé que la ratification exigeait une révision préalable de la loi fondamentale, les experts ont estimé que modifier la Constitution et solliciter à nouveau le Conseil constitutionnel serait aussi nécessaire qu’incontournable. Sûrs de leur fait, ils ont même esquissé quelques pistes. Afin d’éviter de revenir sur l’article 2 stipulant que « La langue de la République est le français », l’un d’eux a proposé de créer dans le titre VI de la Constitution relatif aux traités et accords internationaux, un article 53-3 qui disposerait que la République peut engager la procédure de ratification de la Charte européenne. Un autre expert a suggéré d’ajouter à l’article 75-1 qui reconnaît les langues régionales comme un élément du patrimoine de la France, une formulation énonçant que « Pour assurer la protection de ce patrimoine, la France adhère aux objectifs et met en œuvre les principes de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ». Il ressort donc de tout cela que la Corse risque de faire les frais du blocage voulu par la droite et le centre. Ce qui place les parlementaires insulaires se réclamant de ces famille devant une alternative : se taire et de ce fait assumer la responsabilité que la Charte ne soit jamais ratifiée ; attirer l’attention de leurs pairs UMP et UDI sur la nécessité de se montrer moins intransigeants et plus constructifs.
Pierre Corsi