Une page de l’humanité est en train de se tourner tandis qu’en France et plus encore en Corse, nous avons l’impression de piétiner : même façon d’aborder les difficultés sociales, bégaiements quant au statut fiscal, éternelle question des transports etc. Quand est-ce nous apprendrons à nous adapter à la modernité plutôt que de la subir ?
Autre époque, mêmes problèmes mais solutions différentes
Je lisais récemment un document relatif à la Corse qui datait de 1957 et qui, déjà, exigeait le maintien du vide juridique relatif aux arrêtés Miot tout en se plaignant de la question des transports. Plus d’un demi-siècle après, nous abordons toujours les mêmes questionnements avec une démarche identique sans sembler comprendre que le monde entier a, depuis, changé du tout au tout. La guerre froide a pris faim, la décolonisation est passée par là. Ce sont désormais les pays dits émergents qui mènent l’économie planétaire. La France est à la traîne d’une Europe en débandade et la Corse est présentée comme son boulet. Enfin et surtout l’état-roi agonise sur les marches de la mondialisation. C’est dire qu’à des problèmes en apparence similaires, on ne peut plus répondre par les mêmes revendications tout simplement parce que les réponses ne peuvent être identiques.
L’enlisement
Prenons quelques exemples significatifs. Le chemin de fer corse s’est mis en grève alors même que les subventions qui lui permettent de vivre ont doublé. Ce n’est rien que d’affirmer que cette grève est l’une des plus impopulaires que la Corse ait connue. Et l’exécutif paraît attendre on ne sait quoi mais en tout cas met les bouchées doubles pour ne rien faire. En attendant c’est le public qui est sanctionné. Les grévistes qui bénéficient d’un statut particulièrement favorable jouent les enfants gâtés et en définitive scie la branche sur laquelle ils sont assis avec la bénédiction étonnante de leur président qui confond son appartenance partidaire et sa fonction. Dans le même ordre la SNCM joue son acte ultime après que les syndicats ont multiplié les erreurs stratégiques. Aujourd’hui, nous approchons du terme quand la société à bout de souffle devra licencier en masse. Alors il faudra choisir entre Marseille et la Corse. Et nous entendrons à nouveau les dirigeants CGT mettre en exergue la Corse pour "ethnicisme" comme l’avait fait en son temps le camarade Israël. Mais alors, nous devrons défendre notre cause en insistant sur le fait que travailler en Corse n’est pas une définition ethniciste mais géographique. Quant à la CGT marin elle aura joué avec le feu et notre argent durant des années. Il arrive toujours un moment où il faut rendre la monnaie.
Un exécutif en équilibre instable
Je dois avouer que dans tous ces domaines j’ai bien du mal à suivre l’exécutif qui alterne les coups de gueule souvent intempestifs de son président et les silences accablants de ses lieutenants. Paul Giacobbi a cette force personnelle qui lui permet de se penser supérieur à tous et en tout. Il donne l’impression de n’être entourés que d’imbéciles et d’incapables et de porter sur ses vastes épaules le poids de sa communauté. Il a tort. Nul n’est irremplaçable. Le président de l’exécutif, aujourd’hui cerné par les mises en examen qui frappent son entourage proche, est un homme seul. Et il n’est jamais bon d’être seul dans un environnement de fauves. Paradoxalement pourtant, sa seule protection est cependant sa solitude. Car s’il chutait qui le remplacerait ? La droite est en lambeaux et la gauche nationale n’a personne d’autre à proposer. Toutefois, le pis-aller n’est pas une solution à un questionnement de fond. Car ne nous leurrons pas : il n’y aura pas de changement constitutionnel et la Corse va devoir chaque jour un peu plus s’assumer et cesser de toujours se tourner vers Paris pour arbitrer ses conflits internes. Il y aura vraisemblablement une réécriture de la loi financière et un atermoiement sera proposé à la Corse concernant les successions. Rien de plus. Il est très vraisemblable qu’au bout du compte la SNCM telle qu’elle est va disparaître et que Corsica Ferries et la CMN resteront seuls en lice. Encore faut-il que nos élus et les organisations sur le terrain cessent de penser comme au millénaire dernier. Faute de quoi nous enchaîneront les échecs et la Corse s’isolera plus encore.
Gabriel Xavier Culioli