CHRONIQUE
La Corse entre archaïsme et modernité
Deux assassinat de plus… Quinze depuis le début de l’année. Malgré les efforts des uns et des autres, malgré les moyens policiers, une minorité d’entre nous continue de régler ses comptes à la manière voyou avec pour causes vraisemblables le trafic de drogue, les machines à sous et l’immobilier. Néanmoins, la Corse change en profondeur. Et n’étaient sa position géographique et son particularisme violent, elle ressemble de plus en plus à n’importe quelle province française.
Une île qui s’urbanise
Récemment un chercheur mettait en exergue le paradoxe français qui consiste à continuer de se penser pays agricole alors que les villes ont largement pris le dessus et dessinent aujourd’hui les circuits vitaux de l’hexagone. Seul le système électoral décidé par la Ve République accorde encore une place démesurée à une campagne qui ressemble de plus en plus à un désert. Le processus est identique en Corse. Les villes insulaires rassemblent aujourd’hui plus de 70 % de la population. Les villages se vident et le coût de leur entretien devient prohibitif en période de crise. Les investissements nécessaires pour leur permettre de survivre vont peser financièrement de plus en plus lourd. Telle est la réalité économique, celle de la rentabilité, qui ronge l’âme profonde des peuples. Car cette âme se loge à l’extérieur des cités bâties au fil des décennies selon des schémas le plus souvent dictés par la rentabilité. Or l’archaïsme de la Corse est vraisemblablement une manière inconsciente de lutter contre cette perte de repères que nous confondons avec des éléments négatifs tels que la violence, les clans, la zizanie… L’enjeu de la prochaine décennie sera de parvenir à bâtir un équilibre entre modernité et identité.
Une île à l’image du monde
Ce qui nous arrive n’est pas spécifique à la Corse. En 2050,80 % de l’humanité vivra dans les zones urbaines ou périurbaines. C’est une phase inédite dans l’histoire de l’homme. Aux États-Unis par exemple, cet agencement urbain a produit les gangs grâce auxquels une jeunesse déboussolée et pauvre se créée des marques, se reconnaît bref existe. C’est là une attitude extrême mais elle gagne l’Europe. Les phénomènes encore marginaux des hooligans annoncent une américanisation de la vie où chacun se débrouille comme il le peut. La Corse a une carte à jouer, celle de son identité positive, mais elle ne pourra l’imposer qu’à la condition de trouver les chemins de l’unité. Dans le monde libéral qui se dessine devant nous, il faudra, pour cheminer, faire montre d’imagination, d’intelligence et de solidarité. Le choc de la crise a été atténué chez nous, grâce à l’état providence. Nous n’en sommes qu’au début des épreuves. Le gouvernement socialiste est comme perdu entre austérité et désir de satisfaire sa clientèle électorale. Il exécute un grand écart qui le déchire en deux. Les prochains à trinquer, dans la grande lessiveuse financière, seront les régions qui vont se retrouver de plus en plus seule pour affronter les défis de l’avenir.
Marche ou crève
On ne croit jamais à l’effondrement des sociétés jusqu’au jour où il se produit. Quelle forme cela peut-il prendre en Corse ? D’abord celle d’une restriction budgétaire de plus en plus drastique. Les premières victimes seront les associations puis, plus généralement le secteur subventionné. Il va être demandé aux grandes administrations de se serrer la ceinture, de ne plus remplacer les départs à la retraite, aux partis de cesser leurs embauches clientélaires. Tous ces postes supprimés vont peser sur l’économie locale. Les conséquences de la crise peuvent en partie être atténuées à la condition d’en prendre la mesure. La question aujourd’hui est de savoir si nous pouvons nous permettre le luxe de vivre comme hier et de comprendre que l’emploi à un prix. Quand il n’est pas productif il doit être étudié avec soin. La première crise qui se dessine sera celle des transports : cela a commencé avec la SNCM mais cela va continuer avec Air Corsica et le petit train. Vouloir masquer lesproblèmes, c’est l’assurance de devoir l’aborder dans les pires conditions. Entre archaïsme et modernité, il va falloir choisir et cela promet d’être douloureux.
GXC