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L’invité : Pierre Ghionga, conseiller exécutif en charge de la langue corse

vendredi 28 juin 2013, par Journal de la Corse

L’Assemblée de Corse, a validé, sans aucune voix contre, le rapport sur la coofficialité, présenté, le mois dernier, par Pierre Ghionga, conseiller exécutif. Celui-ci travaille sur le dossier depuis plus d’un an. Pour autant, entre la position des Sages du Conseil Constitutionnel concernant la ratification de la charte des langues minoritaires, le volte-face de François Hollande, sans doute préoccupé par d’autres sujets ou les propos de Manuel Valls, ministre de l’Intérieur concernant le statut de coofficialité, Paris a donné sa réponse et semble peu enclin, pour l’heure, à songer à une éventuelle modification de la Constitution. De son côté, Pierre Ghionga, se veut tout de même optimiste. Il analyse, dans cet entretien, la situation et les perspectives que cette adoption peut, à terme, ouvrir.

La proposition de statut de coofficialité de la langue corse a été adoptée dans un large consensus, lors de la dernière session de l’assemblée de Corse. Considérez-vous cela comme une première victoire ?

Vous parlez de consensus et effectivement, c’est ce que nous avons recherché et obtenu. Aucun élu n’a voté contre le projet que j’ai présenté !!! J’ai organisé plus d’une quinzaine de réunions avec les élus, les syndicats, les instituts de formation, l’université, les médias, le CESC... Je crois que jamais la concertation n’a été aussi large pour une délibération de l’Assemblée de Corse. Nous avons recherché l’adhésion de chacun, c’est ce que nous continuerons à faire lors de l’élaboration de la prochaine planification Lingua 2020-2040.

Pour autant, la position du président de la République, et d’une manière générale du gouvernement, freine cette perspective. Le candidat Hollande s’était, pourtant, prononcé en faveur avant de faire marche arrière, il y a deux mois. Comment analysez-vous cette réaction ?

Le Président de la République s’était engagé à ratifier la Charte avant de se raviser. Pour notre part, nous poursuivons nos objectifs. Notre langue est certes en danger, mais elle est bel et bien vivante, et nous entendons qu’elle le soit encore davantage, dans tous les domaines de la vie sociale et dans toutes les tranches d’âge.

La balle est, désormais, dans le camp de l’Etat. Comment comptez-vous convaincre les parlementaires ?

La réalisation de notre projet implique la révision de la Constitution. Je crois qu’en 2013, il serait inquiétant pour l’image de la France dans le monde qu’elle craigne de réviser la loi fondamentale pour la Corse alors qu’elle n’a de cesse de défendre les droits des minorités dans les autres pays et le principe d’exception culturelle face au nivellement culturel hollywoodien. L’inflexibilité serait un aveu de faiblesse.

Manuel Valls a précisé, récemment, concernant le statut de coofficialité : « il n’est pas concevable qu’il y ait, sur une partie du territoire, une deuxième langue officielle. » Comment analysez-vous cette position ?

Deux siècles de jacobinisme ne sont pas sans effets sur les représentations glottopolitiques de chacun d’entre nous. Le bilinguisme sociétal est un projet sur lequel nous devrons encore communiquer afin de promouvoir une langue moderne, décomplexée et par là même vivante au sein de nos sociétés multiculturelles. Partout en Europe, il est inconcevable que des langues qui ont une histoire ne soient pas reconnues.

Quelle va être, désormais, la position des élus corses ?

Les élus qui se sont retrouvés sur ce texte et qui, j’en suis convaincu, se retrouveront pour demander une fiscalité adaptée et des mesures fortes de protection de notre terre savent qu’il faut une modification de la Constitution. Ils demandent, par conséquent, que leurs choix démocratiques soient pris en compte par le gouvernement et les parlementaires. Je crois que c’est la première fois qu’une majorité forte de la représentation populaire corse exprime aussi clairement ses choix. Il serait très dangereux d’ignorer cette revendication portée, je le répète, par une légitimité démocratique.

Faudrait-il passer par un référendum ? Aurait-il plus de poids pour changer la position de Paris ?

A titre personnel, et je sais que mon avis n’est pas partagé par une majorité d’élus quelle que soit leur appartenance politique, je suis favorable à une validation de nos choix par un référendum car cela donnerait un poids indiscutable à nos demandes. Je n’ignore pas les risques encourus car souvent, dans un référendum, le peuple répond à d’autres questions qu’à celles qui sont posées !!!

Cette notion de coofficialité ne fait-elle pas peur quelque part, aussi bien en Corse qu’à Paris ?

La seule enquête socio-linguistique réalisée il y a quelques mois montre, au contraire, le très fort attachement des Corses, quelle que soit leur origine, à leur langue et la demande majoritaire d’un statut qui la préserve, la promeuve et la place à égalité avec la langue française qui, bien entendu, est aussi notre langue et que nous aimons tout autant. La coofficialité, c’est des devoirs et des moyens pour les institutions publiques, des dispositifs d’encouragement et d’accompagnement pour les acteurs sociaux et des droits en termes d’usage et d’accès à la formation pour les citoyens. La coofficialité, c’est la langue pour tous. Et c’est la liberté pour chaque individu de choisir de parler et d’écrire la langue qu’il souhaite En quoi cela est-il terrifiant ? Personne ne sera obligé de parler telle ou telle langue. Ce ne fût pas toujours le cas…

Au-delà de l’aspect administratif, le contenu du statut et la manière de ne sont-ils pas plus importants ? Quel contenu justement ? Ne le voyez-vous pas lié à d’autres domaines tels que l’économie ?

L’application du statut passe lui aussi par un consensus et par un long processus de coofficialisation. Il est important que chacun se sente impliqué, que chacun ressente qu’il pourra apprendre la langue corse. « Nimu nasce amparatu… ». Il faudra accorder des moyens importants mais le jeu en vaut la chandelle parce que la langue crée du commun, elle intègre, elle crée de la compétence et de l’innovation. Nous ne voulons pas de travailleurs seulement corsophones ; la corsophonie est une compétence supplémentaire. En cela, c’est un formidable challenge. Concernant l’économie, un médecin non-corsophone n’a pas la même relation avec ses patients, il en va de même pour un commercial ou un homme politique ! Outre ces usages, une tranche de jambon vaudra toujours moins cher ch’una fetta di prisuttu !

Songez-vous à solliciter l’Europe ou d’autres régions prônant, elles aussi, la coofficialité ?

Bien entendu ! Nous agissons déjà au niveau européen puisque nous sommes membres d’un réseau pour la promotion de la diversité linguistique : le NPLD ; notre député européen François Alfonsi relaie au niveau du parlement européen nos revendications avec, en particulier, la demande de ratification, par la France, de la charte européenne des langues minoritaires. Chacun doit savoir que la situation des langues, dites minoritaires, est, en France, une exception. Dans tous les autres pays européens le bilinguisme et la coofficialité sont des réalités qui ne remettent pas en cause l’existence de ces derniers. La France est une grande nation, la langue française est une grande langue et elle n’a rien à craindre, au contraire, de la reconnaissance et de la coofficialisation de ses langues régionales. Nous participons, par ailleurs, aux réunions de l’Association des Régions de France consacrées aux langues régionales mais les autres régions sont loin de nos demandes. Et si je suis favorable à un statut national des langues régionales à géométrie variable, le principe de réalité me fait dire que nous obtiendrons plus facilement gain de cause par une inscription de la Corse dans la Constitution prenant en compte la problématique linguistique.

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