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L’invité : Paul Scaglia, président du Tribunal de Commerce d’Ajaccio et de la Corse-du-Sud

jeudi 7 février 2013, par Journal de la Corse

La rentrée solennelle a eu lieu, le 14 janvier dernier, au tribunal de commerce d’Ajaccio. L’occasion, pour Paul Scaglia, de se livrer à une analyse de la situation et d’évoquer des perspectives qui ne sont guère réjouissantes, en cette période de crise. Pour autant, le président du Tribunal de Commerce refuse de verser dans le pessimisme. Il voit, au contraire, dans une ouverture vers l’extérieur, une porte de sortie qui pourrait s’avérer salvatrice pour l’économie corse. Entretien…

La saison estivale, que l’on considère comme l’élément moteur de l’économie corse, s’est avérée globalement moyenne. Comment évaluez-vous ses retombées ?

Divers instituts de statistiques, notamment ceux des organismes d’Etat, donnent, pour la plupart, des chiffres qui ne sont pas trop inquiétants. La saisonnalité donnerait des éléments qui, à défaut d’être positifs, noteraient une certaine stabilité. Cependant je ne pense pas que la saison 2012 ait permis aux entreprises liées directement à celle-ci par des effets directs ou induits, de créer de la richesse et de reconstruire leur trésorerie. Globalement, la situation en Corse est préoccupante. On note, aujourd’hui, une baisse patente de la consommation. Nous sommes dans une période de récession, de crise internationale très forte, qui touche fortement la France, et dont les effets retard que nous connaissions sur notre territoire tendent à se réduire tout au long de cette crise.

Quelle est la tendance en ce qui concerne les cessations d’activité ?

Au niveau de notre juridiction commerciale, on constate, à la demande des dirigeants, un nombre plus important de dépôts de bilan et de liquidations judiciaires directes. Les chiffres 2012 ont marqué une hausse, on note, en ce début d’année, un maintien de cette hausse mais, à ce stade, il ne faut pas être trop alarmiste.

Quels sont les secteurs les plus touchés par la crise ?

Dans l’ensemble, ce sont les petits commerces de détail, les saisonniers, et les petites et moyennes structures dans le bâtiment.

Quel est le rôle du Tribunal de Commerce face à cette situation ?

Depuis quelques années, maintenant, il consiste à faire de la prévention et du conseil. Nous sommes de plus en plus sollicités par les entreprises. Nous essayons, pour ce faire, d’anticiper sur les problèmes que celles-ci peuvent rencontrer de façon passagère ou pérenne et d’amener, le cas échéant, des solutions, en lien avec diverses administrations lorsqu’il s’agit de passer des caps conjoncturels ou dans le cadre de notre juridiction commerciale lorsque les situations sont plus sérieuses. Si la situation est beaucoup plus critique, on cherche des solutions qui peuvent, prendre la forme de la nomination d’un mandataire ad-hoc, d’une conciliation, qui permet d’établir un protocole avec les créanciers sur une durée à négocier, ou d’un redressement judiciaire introduisant un plan de continuation de l’entreprise. De façon plus importante les chefs d’entreprises ou les commerçants ont intégré qu’il était préférable pour eux, dès le début des difficultés rencontrées, de se rapprocher du tribunal de commerce. Il est là pour les aider, les accompagner dans la gestion et voir le règlement de leurs difficultés. Et non pour, en dernier ressort, entériner des cessations d’activité, et la fin d’une entreprise. C’est pour toutes ces raisons que le tribunal préfère agir en amont pour tenter avec les chefs d’entreprise qui ont l’historique et la connaissance de leur métier, de trouver les causes et les remèdes à leurs difficultés.

Comment votre aide, se traduit-elle ?

Au travers de nos conseils et de notre approche des dossiers. Dans beaucoup de cas, les chefs d’entreprise n’ont pas de regard objectif sur leur situation. Bien souvent Ils tardent à apporter les solutions au bon moment et lorsqu’ils aboutissent au Tribunal de Commerce il est, fréquemment, trop tard. C’est la raison pour laquelle nous demandons aux experts comptables, aux commissaires aux comptes, aux conseils et aux chefs d’entreprise eux-mêmes, d’être très attentifs à leur activité. De surcroît en période de crise, telle celle qui traverse l’Europe ; ils ne doivent pas hésiter à nous solliciter bien en amont.

On a évoqué, à maintes reprises, la fin de crise. Mais elle subsiste et tendrait même à s’aggraver. Comment évaluez-vous la situation à ce jour ?

Nous aurons, en France, une récession de l’ordre de -03, -05, la compétitivité est en berne et ne permettra donc pas de faire repartir la croissance, l’Etat est au bord de la cessation de paiement. Voilà, dressé, le constat froid mais réel de ce que nous vivons aujourd’hui. Partant de ce constat, il va falloir s’attendre à encore plus de mesures drastiques qui plomberont nécessairement le développement économique auquel nous aspirons, dont nous avons tant besoin. Et qui, par voie de conséquence et inévitablement, auront des effets pervers sur la consommation.

La situation globale de l’île qui vient s’ajouter aux retombées de la crise, ne met-elle pas un frein à toute perspective de développement économique ?

Je crois que nous sommes, en Corse, face à deux problèmes importants. Celui de la violence, tout d’abord, puisque, nous avons terminé l’année 2012 dans le drame. Il faut espérer, à ce titre, que la violence va reculer et que l’avenir va nous offrir d’autres perspectives. Le deuxième problème, et non des moindres, concerne les arrêtés Miot. Au-delà de l’aspect purement fiscal, c’est toute la problématique de la terre, des partages, et de la spéculation immobilière auxquels nous sommes confrontés. L’Etat doit entendre la voix de la Corse. Le problème dérogatoire, aujourd’hui, n’est pas très bien compris ni bien entendu par la population française et le gouvernement. Mais le comité de défense réuni autour de maître Alain Spadoni montre qu’il existe des solutions intelligentes pour faire en sorte que ces terres ne soient vendues, ni à des spéculateurs, ni à des gens de l’extérieur, mais demeurent le bien des Corses. Sans terre, il n’y a plus de peuple…

Le prochain Padduc pourrait-il, selon vous, clarifier quelque peu, la situation et favoriser un réel développement économique de la Corse ?

Dans son schéma directeur sur les prochaines années, la réflexion sur le Padduc a, effectivement, des pistes intéressantes. C’est un moyen de tracer certains axes et, en ce sens, je pense qu’il y a des points intéressants. Mais il n’est pas le seul élément à prendre en compte, notamment dans le domaine économique.

S’oriente-t-on, à terme, vers une refonte de la société corse ?

D’un point de vue économique, il est évident qu’il faudra avoir un regard différent sur notre développement. Sortir d’une forme de renfermement et pouvoir tisser des liens plus étroits avec l’extérieur. L’Europe est, aujourd’hui, en transversalité dans ses rapports avec les régions. En Corse, nous devons avoir des rapports économiques qui vont dans le sens de cette transversalité, y réfléchir et trouver des moyens de les appliquer. Dans cette perspective, c’est au monde économique et non aux politiques d’en être les initiateurs. Les politiques peuvent aider à accompagner et faciliter la démarche de développement économique, mais la réflexion profonde et contemporaine doit venir du terrain. Pour trouver des solutions innovantes et modernes, l’économie corse ne doit plus exclusivement reposer sur le tourisme et le bâtiment, les deux seuls moteurs qui la font, actuellement, fonctionner. S’agissant du tourisme, une activité qu’il ne faudrait pas, pour autant, négliger, on peut regretter aussi, que dans le cadre du diagnostic territorial, aucun groupe de travail n’a été mis en place, concernant l’industrie touristique qui représente 1/3 du PIB régional, et dont un schéma directeur devra être un jour élaboré afin d’indiquer une feuille de route pour les 20 prochaines années.

Interview réalisée par Philippe Peraut

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