Nul n’ignore que le Président de la République a de solides attaches en Corse, ne serait-ce qu’en raison de son premier mariage, avec Marie-Dominique Culioli, dont le père était pharmacien à Vico. Mais c’est surtout sous la houlette d’élus corses tels qu’Achille Peretti qu’il a entamé, à Neuilly, au début des années quatre vingt, sa carrière politique. Le chef de l’Etat a, par ailleurs toujours tissé des liens étroits avec la branche insulaire de sa famille politique. Ce n’est donc pas un hasard si, en une décennie, il est venu une dizaine de fois dans l’île. Notamment entre 2002 et 2007 lorsqu’il était ministre de l’Intérieur. Il y a effectué, après octobre 2007-conseil des ministres décentralisé à Ajaccio- décembre 2009 et février 2010, sa quatrième visite en tant que chef de l’Etat. Néanmoins, avec le quinquennat qui s’achève, Nicolas Sarkozy, dernier candidat, parmi les plus importants, à fouler le sol insulaire dans le cadre de la campagne, conserve t-il la même image que lors des présidentielles 2007, où il avait totalisé, au second tour, 60,12% des suffrages ? À dix jours du premier tour, une telle visite devrait fournir, dans cette perspective, un certain nombre de réponses. Le président-candidat nous confie, dans cet entretien, les grands axes de la politique qu’il entend mener dans l’île s’il revient aux affaires le 6 mai prochain.
Quel bilan dressez-vous de votre quinquennat par rapport à la Corse ?
J’ai voulu que la Corse retrouve confiance en elle-même. Pour cela, avec les élus de Corse, j’ai tenu à ouvrir tous les dossiers, même les plus difficiles. Beaucoup attendaient des décisions depuis des décennies ! Nous avons pu trouver une solution au problème lancinant du désendettement de l’agriculture. Nous avons modernisé le système de santé pour permettre un meilleur accès aux soins. Nous avons donné à l’Université les moyens de se développer. Nous nous sommes saisis des sujets indispensables pour assurer un développement durable : énergie, urbanisme, protection de l’environnement… Nous avons accéléré le programme exceptionnel d’investissement. Après ces années d’action, et en dépit de la succession de crises brutales que notre pays a affrontées depuis 2008, la Corse produit davantage et crée des emplois. C’est un travail considérable qui a été accompli pour répondre aux enjeux de l’avenir tout en facilitant la vie quotidienne des Corses. Mais je sais que nous ne devons pas relâcher nos efforts, car beaucoup reste à faire.
Quelles y seront les grands axes de votre politique en cas de réélection ?
Parce que j’aime la Corse, je veux qu’elle continue à s’affirmer au sein de la République. La Corse a les moyens de l’excellence. L’Etat doit continuer à bâtir avec la Corse une relation de confiance et d’espérance. Cela passe par des avancées très pragmatiques que je proposerai aux Corses vendredi à Ajaccio.
Vous êtes, avant le premier tour, le dernier candidat, parmi les plus importants, à faire une visite dans l’île. Était-ce un choix délibéré ? Qu’attendez-vous de cette visite ?
Je suis heureux d’être venu en Corse tant de fois depuis dix ans, comme ministre, candidat à la présidence de la République, chef de l’État, à nouveau candidat. J’ai noué avec l’île, avec ses habitants, des liens très forts. Je tenais, naturellement, à revenir en Corse avant le premier tour de l’élection présidentielle. C’est pour moi un rendez-vous très important. Je viens à la rencontre des Corses pour leur parler de leur avenir.
Le camp libéral insulaire s’est désuni en raison de querelles internes. Le croyez-vous capable, dans une région qualifiée de Droite, de reprendre les rênes. Comment comptez-vous l’y aider ? Qu’en attendez-vous ?
Dans les dernières années, je sais qui m’a aidé pour faire progresser notre pays. Je suis reconnaissant aux élus de ma famille politique pour les efforts accomplis, tant sur l’île qu’à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, ce que je propose aux Français, ce que je propose aux Corses, c’est un projet de rassemblement. La question n’est pas de savoir si l’on est de droite, de gauche, du centre ou d’ailleurs. La question n’est pas d’opposer un camp à un autre. La question est de savoir ce qui est bon pour la France et ce qui est bon pour la Corse.
Le récent attentat contre la sous-préfecture de Corté, le double homicide survenu dans l’île en début de semaine montrent que la violence reste plus que jamais présente dans l’île. N’y voyez-vous pas un constat d’échec ? Comment mettre fin à ce fléau ? Qu’en pensez-vous ?
J’ai trouvé à mon arrivée au ministère de l’intérieur, il y a dix ans, une Corse encore minée par la violence : 55 homicides et tentatives en 2001, 111 attentats au premier semestre 2002. Les accords de Matignon n’avaient manifestement pas réglé ce problème. J’ai remobilisé les forces de sécurité, mis en place un groupement d’intervention régional, qui a permis de faire travailler les services fiscaux avec la police et la gendarmerie. J’ai voulu spécialiser aussi des groupements, dans la police comme dans la gendarmerie, pour faire face à la grande criminalité. J’ai tenu à ce que les services centraux coopèrent pleinement avec les forces locales. C’est ainsi que des réseaux entiers de banditisme ont été démantelés alors qu’ils avaient pignon sur rue depuis bien longtemps. Depuis que j’ai la responsabilité de diriger l’Etat, j’ai amplifié cette action : 1300 interpellations ont été conduites, et le nombre d’attentats a été divisé par quatre en dix ans. Malgré cette action extrêmement déterminée, la Corse subit encore des actes de violence inacceptables, avec de malheureux exemples ces jours derniers : attentat à Corte, deux assassinats près d’Aléria et un homicide à Ajaccio. Je salue les forces de sécurité qui enquêtent avec beaucoup de détermination et de professionnalisme. Les auteurs de ces actes seront appréhendés et déférés à la justice, comme c’est le cas pour tous les crimes, quels qu’en soient les auteurs et les victimes. Il n’y a pas eu, il n’y a pas et il n’y aura pas de tolérance à avoir vis-à-vis de la violence. C’est une voie sans issue.
Ne pensez-vous pas qu’il faille travailler en amont, sur la loi littoral, et, d’une manière générale, la politique foncière ? Quels sont vos axes dans ce domaine ?
Les mille kilomètres du littoral sont un atout extraordinaire pour la Corse. Il faut bien évidemment les préserver. Je suis très attaché à la loi sur le littoral et à son respect. C’est aux élus corses qu’il revient maintenant de définir le plan d’aménagement et de développement durable de Corse (Padduc). Ce plan devra préciser le mode de développement privilégié en Corse et la localisation des grands équipements. Il pourra définir de nouveaux espaces remarquables à protéger. J’ai bien conscience, par ailleurs, des enjeux liés à l’augmentation des prix du foncier. C’est pourquoi nous mettons en place un établissement public foncier, doté de 15 millions d’euros sur cinq ans, qui permettra de modérer le prix du foncier, si élevé en Corse, afin de permettre aux collectivités de réaliser les équipements et les logements dans de bonnes conditions.
Qu’envisagez-vous pour l’agriculture dans l’île ? Comment favoriser le développement des différentes filières ?
J’ai tenu mes engagements pour l’agriculture corse. Nous avons organisé le désendettement des agriculteurs : 300 plans de désendettement ont déjà été signés ou sont sur le point de l’être. Nous avons renforcé les filières agricoles corses grâce à un plan de soutien, puis un plan d’amplification, mobilisant 45 millions d’euros. Nous soutenons les démarches d’aménagement pastoral permettant de regagner des terres agricoles. Nous défendons, à Bruxelles, la spécificité, les contraintes et les richesses de l’agriculture corse. La récompense de tous ces efforts, c’est de voir que la démarche de qualité est défendue ici par toutes les filières, allant de l’indication géographique protégée jusqu’à l’appellation d’origine contrôlée. Ce sont des perspectives de nouveaux marchés et d’emplois créés en Corse.
Faut-il mettre le cap sur l’excellence écologique, environnementale et sur le développement durable ? De quelle manière ? Faut-il que les Corses envisagent de s’engager dans cette voie ?
La création de richesses économiques en Corse ne doit pas se faire au détriment de son patrimoine naturel. L’île doit s’orienter résolument vers le développement durable. Comme je m’y étais engagé, la loi du 5 décembre dernier donne une valeur juridique renforcée au futur Padduc et y intègre les mesures du Grenelle de l’environnement. Les élus ont désormais toutes les clés pour définir cet indispensable équilibre entre économie et écologie.
La Corse occupe, actuellement, une position centrale en Méditerranée Occidentale. N’aurait-elle pas intérêt à diriger son développement économique dans cette voie ?
Vous avez raison : la Corse a tout intérêt à tisser des liens avec ses voisins méditerranéens. C’est un atout inestimable. Dans cet esprit, nous venons de créer le parc marin de Bonifacio avec nos amis italiens. Et nous faisons progresser l’interdiction de circuler des matières dangereuses dans cette région si sensible. Tous les domaines de coopération doivent être explorés. Je pense notamment à la prévention des risques naturels, aux échanges d’étudiants, au rayonnement culturel et à la promotion d’un tourisme de qualité.
Pour ce qui est des transports, la Corse traverse une période difficile avec, notamment, des grèves qui paralysent l’aérien et le maritime. Comment assurer, au mieux, la desserte de la Corse ? La création, au niveau maritime, d’une compagnie régionale vous paraît-elle une solution envisageable ?
L’Etat assume pleinement le financement de la continuité territoriale, qui représente 190 millions d’euros chaque année. Nous continuerons à le faire : je m’y engage. La desserte maritime et aérienne de la Corse est vitale pour l’économie et pour tous les Corses. Elle doit être assurée. Chacun doit jouer son rôle. Il est de la responsabilité de la collectivité de Corse d’organiser ses délégations de service public, pour la desserte aérienne comme pour la desserte maritime. J’y serai, naturellement, très attentif.
Le taux de chômage est particulièrement élevé dans l’île et la précarité ne cesse de s’accroître. Comment envisagez-vous d’y faire face ? Faut-il y voir les conséquences de la crise mondiale ?
Notre pays a affronté, depuis 2008, une succession de crises mondiales très brutales. L’économie de la Corse a résisté. Aujourd’hui, elle produit plus qu’il y a cinq ans. Des emplois sont créés. Mais beaucoup de projets restent à mener, pour donner une plus grande solidité à cette économie. La politique menée au plan national en faveur des petites entreprises, de l’artisanat, de la formation, est amplifiée ici par des efforts particuliers. Je pense à la prorogation récente du crédit d’impôt pour investissement, une mesure qui a permis de créer 3000 emplois depuis dix ans. Je tiens au doublement, en dix ans, des places d’apprentissage, qui seront 2 600 d’ici à 2015. Et je confirme le démarrage de la dernière tranche du programme exceptionnel d’investissement (PEI), à partir de 2014, à hauteur de 400 millions d’euros. C’est un effort d’investissement sans précédent.
François Fillon est venu en Corse en 2007 au début de votre quinquennat. Il avait, notamment, annoncé : "La France est en faillite" et fait allusion aux finances allouées à la Corse. L’état de financement de territoires comme la Corse vous touche t-il ?
Le redressement de nos finances publiques est une exigence majeure. Pour qu’en 2016 les comptes publics soient à l’équilibre, il y a un chemin à suivre, qui est un chemin de courage. Il n’est pas question de demander aux Français qui travaillent de payer toujours plus. Ce sont donc les dépenses publiques qu’il faut réduire et personne ne peut être exempté de l’effort. Mais je suis conscient que la Corse, compte tenu de l’insularité et d’un développement économique qui reste à conforter, doit continuer à faire l’objet d’un soutien particulier de la communauté nationale.
Quelle rôle, la Corse, pourrait-elle, selon-vous, jouer dans la prochaine réforme des collectivités ?
Comme vous le savez, la loi qui a institué le conseiller territorial, siégeant pour les affaires des régions et des départements, ne s’applique pas en Corse. Nous avons pris soin de respecter son statut particulier. Sur ce sujet, j’ai tenu à donner d’abord la parole aux élus corses, je l’ai dit en venant ici en février 2010. Je sais que l’assemblée de Corse y travaille. Je comprends que les opinions sont très partagées. J’écouterai avec la plus grande attention ses propositions sur ce sujet.
Vous n’êtes pas favorable à la ratification de la charte des langues minoritaires ? Pourquoi ? Quelle politique envisagez-vous de mettre en place concernant le développement de la langue et de la culture corses ?
La spécificité de la Corse passe par sa langue. La langue corse, c’est un patrimoine vivant. Depuis dix ans, l’Éducation nationale est très engagée dans l’enseignement du corse, avec 113 professeurs certifiés, 180 habilités. 80% des élèves suivent un enseignement de corse à l’école primaire, plus d’un tiers dans le secondaire. L’État soutient aussi l’usage du corse dans des émissions de service public, comme le journal régional de France 3, mais aussi avec la chaîne Via Stella, qui diffuse 900 heures par an de programmes en corse. Ce sont des avancées majeures. Je suis ouvert à toutes les propositions qui favoriseront la diffusion du corse dans la vie sociale. Mais comme garant de l’unité de la République, je ne veux pas que le corse remplace le français, dans les textes officiels, aux guichets du service public.
Le Galsi ne se fera sans doute pas. Quelles autres solutions envisageriez-vous pour l’avenir énergétique de la Corse ?
La Corse doit pouvoir accéder à une énergie sûre et propre. L’objectif est clair : le gaz naturel doit arriver, en 2018, dans les deux centrales thermiques de l’île – à Lucciana, après la modernisation qui est en cours, et à Ajaccio dans la future centrale. J’aurai l’occasion, lors de ma venue en Corse, d’annoncer les décisions que j’ai prises pour y parvenir.
Interview réalisée par Philippe Peraut