La nouvelle desserte maritime de la Corse fait couler beaucoup d’encre. Pour l’île, les enjeux sont très importants. Au sein de l’hémicycle, le débat divise plus qu’il ne rapproche et il en sera, de nouveau, question lors de la prochaine session de l’assemblée de Corse. L’occasion, pour Marc Dufour, Président du Directoire de la SNCM de faire part de ses craintes et d’exposer ses vues sur la situation.
Paul Giacobbi, président de l’exécutif de Corse, soumettra à l’approbation de l’assemblée de Corse, les 29 et 30 mars prochain, deux mesures phares : La fin du service complémentaire et la non-extension de la DSP sur Toulon. Que pensez-vous de ces deux mesures ?
La Collectivité Territoriale Corse est souveraine et je ne souhaite pas commenter ses orientations surtout avant qu’elle n’ait réellement été débattues et votées. Je respecte les élus et le calendrier qu’ils ont choisi. Si je me suis exprimé avec force après la session du 20 février, c’est pour dire clairement quelles seraient les conséquences directes, sociales et industrielles, de tel ou tel choix. C’est mon rôle de Président du Directoire que d’inscrire le SNCM dans une trajectoire de vie. C’est mon rôle, aussi, d’expliquer notre stratégie, nos enjeux et de défendre les emplois qu’il s’agisse des salariés de la Compagnie ou de ceux de nos sous-traitants et fournisseurs. Je sais que cette trajectoire de vie contribue au développement économique et social de la Corse comme je sais aussi ce que nous devons à la Corse. Nos destins sont liés. Quand nous décidons d’investir dans une nouvelle flotte, quand nous ouvrons le débat pour bâtir un nouveau pacte social, quand nous travaillons à améliorer notre qualité de service, je sais que nous travaillons aussi pour la Corse et toute son économie. Concernant la fin du service complémentaire, il s’appuie sur un jugement de la cour administrative d’appel de Marseille que nous contestons. Notre recours devant le Conseil d’Etat devrait, du reste, aboutir dans les tout prochains mois... Pour Toulon, je suis partisan de l’inclure dans le périmètre de la DSP car c’est désormais un port stratégique pour le fret et je partage l’analyse de l’exécutif sur la priorité à donner au fret dans la prochaine DSP. A Toulon, la question est de savoir s’il y a la volonté de contrecarrer une compagnie - Corsica-Ferries - qui profite sans limites d’un avantage de position dominante en s’appuyant sur la dérégulation, le dumping social et le harcèlement juridique !?
Auront-elles des conséquences sur la SNCM ? N’est-elle pas en sureffectif ?
La fin du service complémentaire, sans la définition d’un périmètre d’activité ou de production comparable, ce sont plus de 800 emplois directs qui sont menacés. Plus de 800 emplois de marins et de sédentaires, sur le Continent et en Corse sans compter sur les emplois indirects. Ce serait très grave et je crois mortel pour notre Compagnie. On ne se sépare pas de près de 30% de son personnel sans perdre son âme et son cœur. Je sais que nous avons des efforts de productivité à réaliser et nous le faisons au quotidien. Nous le faisons par respect pour nos clients, pour nos actionnaires, pour nos partenaires et afin que l’argent public qui rémunère une partie de notre activité ait le meilleure rendement de Service Public possible. Nous le faisons aussi en affirmant notre attachement au pavillon français de 1er registre ! Je ne laisserai personne insinuer que cette DSP est une perfusion pour une entreprise qui ne fonctionne pas. Je renvois ces cyniques aux résultats de la dernière saison. Nous avons gagné des parts de marchés dans un contexte très dur. Une première depuis 10 ans. Nous nous battons, nous changeons, nous avançons !
Vous étiez favorable à la suppression de l’aide sociale aux passagers. Pourquoi ?
Parce qu’elle est contradictoire avec la DSP et qu’elle fragilise donc cet outil de régulation et de préservation de l’intérêt général dont est garant la CTC. Ces deux dispositifs s’opposent et ce qui avait été pensé initialement comme un équilibre a finalement entrainé de lourdes dépenses non maîtrisables.
Quels avantages la SNCM peut-elle y trouver sachant que, cette fois, Paul Giacobbi prévoit une transformation de ce mécanisme qui pourrait profiter à la Corsica Ferries ?
Quand nous connaîtrons précisément ce que souhaite l’exécutif, nous nous exprimerons. Je n’aime pas faire de la politique-fiction. Je suis pragmatique.
Une enquête est actuellement au Sénat concernant une éventuelle privatisation de la SNCM. Serait-ce une solution ?
Concernant la commission d’enquête au sénat demandée par le Président Giacobbi, je n’ai pas de commentaires à faire. Que la justice ou la commission fasse son travail. Nos actionnaires sont favorables à la transparence. Nous n’avons rien à cacher ! Et cela fera taire ces insinuations détestables qui polluent la réflexion de fond. En ce sens, les déclarations entendues lors du dernier débat à l’Assemblée de Corse selon lesquelles Veolia aurait commis un « holdup » sur les biens de la Corse en devenant actionnaire de la SNCM est injuste et indigne. Espérons qu’il ne s’agit pas d’une trop simple manière de désigner un bouc émissaire pour éviter de poser les véritables questions.
On évoque, en Corse, la création, comme porte de sortie, d’une compagnie maritime régionale. Qu’en pensez-vous ?
Nous avons entendu le message et nous comprenons ceux qui souhaitent que les représentants de la Corse puissent participer et peser sur les choix d’une compagnie comme la notre car ces choix ont un impact direct sur l’île. Nous sommes prêts à étudier leur venue dans nos instances. Concernant la Compagnie régionale, une étude va être présentée, je crois, lors de la prochaine session. Nous attendons comme beaucoup d’en connaître les contours concrets avant d’exprimer un avis.
La Corsica Ferries estime qu’en l’absence d’aide sociale, les tarifs vont augmenter et les fréquences diminuer. Que lui répondez-vous ?
Cela prouve bien que nos démarches sont différentes. Cela prouve aussi que seule la DSP peut garantir les intérêts supérieurs de la Corse. Souvenons-nous que Corsica Ferries a pour habitude de doubler ou de tripler ses prix quand nous sommes empêchés de réaliser notre mission.
Un plan de sauvetage avait été validé en 2005 par l’Etat suite au conflit. Comment expliquez-vous, aujourd’hui, que la SNCM soit de nouveau dans une situation financière délicate ?
Notre situation s’est améliorée mais il ne vous a pas échappé que le contexte économique est dur, très dur ! Je veux pour exemple l’envolée des prix des carburants. Les chiffres sont vertigineux. Et ça, je vous le garantis, nous n’y sommes pour rien ! Notre situation ira en s’améliorant encore et nous souhaitons bâtir un nouveau format d’exploitation qui garantisse la qualité et les emplois. Un format qui génère des résultats positifs qui profiteront à tous et d’abord à la Corse.
Interview réalisée par Philippe Peraut