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L’invité : Maître Alain Spadoni, président du Conseil Régional des Notaires

jeudi 17 janvier 2013, par Journal de la Corse

Depuis l’annonce du Conseil Constitutionnel de mettre fin à l’arrêté Miot, la Corse se mobilise. Une décision qui fait couler beaucoup d’encre et provoque, dans l’île, stupeur et parfois colère. Elus, citoyens de la société civile et population se lèvent dans un large consensus pour demander au Gouvernement de réinscrire, dans la loi de finance rectificative, la disposition d’exonération jusqu’au 31 décembre 2017, tel qu’il l’était prévu initialement. À l’origine de la création d’un collectif regroupant des élus de la société civile, maître Alain Spadoni, président du Conseil Régional des Notaires, connaît particulièrement bien le sujet. Il exprime son sentiment sur cette situation.

Que vous inspire la décision du Conseil Constitutionnel ?

Elle se veut être une décision qui respecte l’égalité des citoyens. Or, en méconnaissant la situation réelle du désordre juridique qui existe en matière immobilière et en matière juridique en Corse, le Conseil Constitutionnel est allé à l’inverse du but recherché. Et au lieu de rétablir une égalité, il a créé une inégalité. En mettant les citoyens français de Corse dans une situation de dépendance et d’infériorité par rapport à la situation que connaît l’ensemble des citoyens français dans l’Hexagone.

Cette décision vous paraît-elle irrévocable ?

À partir du moment où elle a été prononcée, elle est, effectivement, irrévocable. Il existe, néanmoins, une solution, celle que nous explorons. C’est que le gouvernement, dans le cadre de la loi de finance rectificative, reprenne son texte avec un exposé des motifs bien précis. En effet, pour que le Conseil Constitutionnel ne retoque pas le texte une seconde fois, il doit être motivé et justifié par une nécessité d’égalité. Je me suis donc appliqué à préparer un mémoire de 22 pages qui a été communiqué il y a deux semaines et dans lequel j’explique les motifs qui justifient une prorogation des mesures dérogatoires afin de permettre ce que nous avons entrepris, à savoir, la remise en ordre juridique du patrimoine et la création des titres de propriété. Le GIRETEC travaille dans ce sens et obtient de très bons résultats. Il a déjà traité 94% des dossiers qui lui ont été confiés en 2012.

Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs, la genèse de l’Arrêté Miot ?

Pour être précis, l’arrêté Miot n’existe plus. Il a été abrogé dans le cadre de la loi des finances de 1999. Nous sommes, actuellement, sur une mesure dérogatoire qui résulte de la loi du 22 janvier 2002, qui a exonéré la transmission des biens immeubles situés en Corse par succession et les droits de succession. Initialement jusqu’au 31 décembre 2010, puis, par prorogation jusqu’au 31 décembre 2012 et nous avions demandé une prorogation jusqu’au 31 décembre 2017. Ce qui signifie, pour les successions ouvertes depuis, qu’il n’y a pas de droits de succession à régler sur les immeubles. Cet avantage existe mais il a une contrepartie : les personnes doivent, dans les 24 mois, faire le règlement et la déclaration de leur succession, et payer les droits sur les meubles. Cette obligation est impérative et si on ne la respecte pas, le droit commun devient, alors, exigible. Il est important que cette disposition subsiste car, effectivement, nous sommes loin d’avoir régler nos problèmes. Nous avons des indivisions successorales qui sont énormes, de l’ordre de 40% de plus que les départements français les plus défavorisés en la matière, nous avons également un nombre incalculable de biens non délimités. On en recense moins de 1000 par département dans tous l’Hexagone mais 42.000 en Corse-du-Sud et 57.000 en Haute-Corse. C’est dire que le citoyen français de Corse n’est pas en situation d’égalité avec le citoyen français de n’importe quel autre département. C’est la raison pour laquelle nous demandons de respecter le principe d’égalité. Il faut prendre en compte la réalité du terrain.

Comment les « Sages », ont-ils, selon vous justifier leur décision ?

Je pense qu’il y a deux raisons à cela : de la malveillance parce que nous n’avons pas d’amis au sein du conseil constitutionnel, mais aussi une mauvaise information. Le texte de la loi de finance n’a pas été très bien motivé. Et nous nous appliquons, désormais, à rectifier cette erreur. Depuis des décennies, les Corses, en matière de transmission de patrimoine, sont en difficulté. Ils n’ont pas de titres de propriété et sont dans la situation d’un citoyen sans état civil ou d’une voiture sans carte grise. On ne peut faire de succession ni échanger, ni vendre, ni effectuer une donation. Aucun département français même les plus défavorisés que sont l’Ardèche et la Lozère ne sont dans cette situation. Mais cela n’est plus contesté. Et c’est en ce sens que la décision du conseil constitutionnel n’est pas bonne car elle méconnait totalement cette réalité.

Quelles seront les conséquences de cette mesure ?

Nous verrons très vite que nous sommes dans une impasse. Tous ceux qui peuvent essayer de démontrer le contraire, seront bien obligés de se rendre à l’évidence : les Corses seront obligés de vendre leurs biens pour payer les droits de succession, c’est une certitude.

Vous avez rencontré Patrick Strzoda, préfet de Corse. Qu’est-il ressorti de cette réunion ?

Le préfet préside le conseil d’administration du GIRETEC, il voit bien le travail qui est effectué et mesure les difficultés que nous rencontrons. C’est un relais parfait, un homme honnête qui saura, j’en suis persuadé, être notre porte-parole au niveau le plus haut de l’Etat.

Vous êtes à l’origine de la création, début janvier, d’un collectif. Qui rassemble-t-il et quels sont ses objectifs ?

Ce sont des responsables professionnels qui comptent parmi les plus importants de l’île. On note, notamment, la présence les responsables des chambres de commerce, d’agriculture, des métiers mais aussi des membres du conseil économique et social, des avocats, notaires, universitaires et bien d’autres encore. Nous sommes des élus de la société civile et avons, de ce fait, le devoir de porter aux pouvoirs publics notre volonté de ne pas accepter une décision qui place le citoyen français de Corse dans une impasse. Et par-dessus tout, il y a le danger majeur de voir l’aliénation de notre terre et de nos biens. Et quand on perd la terre, le peuple meurt et c’est ce que nous ne voulons pas.

Comment sortir de cette impasse ?

Le gouvernement doit avoir le courage politique de réinscrire dans la loi de finance rectificative, la disposition d’exonération jusqu’au 31 décembre 2017. En attendant que nous puissions continuer à travailler sur un sujet de fond plus précis qui serait une évolution du statut fiscal de la Corse en la matière.

Que vous inspire la solution préconisée par Pierre Chaubon concernant la mention de la spécificité corse, d’une manière générale, au sein de la Constitution française ?

Monsieur Chaubon est un éminent personnage de la République, puisqu’il est Conseiller d’Etat et c’est aussi un éminent personnage de la Corse. Il sait ce qu’il dit, le dit avec courage et conviction, mais surtout avec connaissance. Et je partage totalement son opinion.

Peut-on avancer qu’un fort consensus se lève en Corse, quelles que soient les divergences politiques ?

Je pense que nous devons dépasser les clivages politiques. Nous avons un intérêt collectif : la défense de notre terre et de notre peuple. En ce qui me concerne, sur ce sujet, je ne veux plus dépendre d’un Charasse, d’un De Bourson ou de qui que ce soit, qui va je ne sais où prendre des décisions qui engagent ma vie, celle de mes enfants et de mes petits-enfants.

Interview réalisée par Philippe Peraut

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