Les élections aux Chambres d’Agriculture de Haute-Corse et de Corse-du-Sud se déroulent le 31 janvier prochain. Deux listes sont en dans les deux départements « Produce per campà » et celle de la FSDEA pour un objectif identique même s’il diverge sur la forme : défendre les intérêts des agriculteurs corses. Cette semaine, le JDC ouvre ce volet avec Jean-Dominique Musso, président sortant de la Chambre d’Agriculture de Corse-du-Sud.
Quels sont les enjeux de cette élection ?
On est sur une deuxième mandature, l’objectif consiste à s’inscrire dans la continuité de ce que nous avons mis en place : redonner toute sa dimension à la Chambre d’Agriculture, une institution très importante, dont les prérogatives sont définies par le code rural. C’est le partenaire privilégié des décideurs politiques et financiers, l’Etat. On s’est efforcés, au cours de la première mandature, de faire en sorte que la Chambre d’Agriculture redevienne ce partenaire et que l’on puisse, à travers nos prérogatives, amener l’expertise professionnelle nécessaire, à ces décideurs, afin qu’ils sachent ce que l’on doit faire en matière de développement agricole. Ce qui n’était plus trop le cas auparavant. La plupart des Chambres ont, toutes, des problèmes financiers. Elles sont plus sur des problématiques de soutien financier et/ou de recherche de financement. Or, j’estime qu’il faut, avant tout, avoir une connaissance du terrain et savoir la transmettre. On ne doit pas se contenter d’aller vers décideurs uniquement pour chercher des financements.
Deux listes pour cette élection en Haute-Corse comme en Corse-du-Sud. Deux visions différentes du développement de l’agriculture insulaire ?
Les points de vue divergent. C’est peut-être la problématique qui le veut. Il y a deux tendances qui se dégagent. D’un côté, ceux qui pensent qu’il faut prendre la politique agricole telle qu’elle est définie sinon on risque de tout perdre, et de l’autre, ceux qui veulent résister à quelque chose qui est imposé et qui ne correspond pas à la réalité du terrain.
Quelles sont les idées soutenues par la liste « Produce per campà » ?
Nous voulons faire, de la Chambre d’Agriculture, un outil de proximité au service des agriculteurs. Depuis quelques années, on note une rupture avec les institutions, il faut inverser la tendance. La plupart du temps, c’est le produit qui est mis en avant mais jamais les hommes, qui sont de plus en plus isolés. Or, c’est l’homme qui fait le produit. En outre, on mélange tout, produits agricoles, agroalimentaires, industriels, et le consommateur ne comprend plus rien. À l’arrivée, les parents pauvres de cette politique sont les agriculteurs. Notre mission consiste à placer l’homme au cœur du débat, et à redorer l’image de la Chambre d’Agriculture. Elle concerne, également, les problématiques des programmes européens et nationaux. Ils ne sont pas en adéquation avec l’agriculture insulaire. On est très largement décrochés et nous avons de nombreuses spécificités. Les politiques nationales et européennes sont des politiques de filière qui appréhendent l’agriculture sur une monoculture. La plupart des régions françaises travaille sur un seul produit et tout s’articule autour. En Corse, la donne est différente. L’agriculteur a la capacité de travailler sur plusieurs produits. Il peut être en bi ou tri-activité. On a besoin d’avoir une vision d’ensemble parce que, justement, nous avons, en Corse, une grande richesse en termes de savoir-faire et de production, que n’a aucune autre région française. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas mettre en place une filière monoculture.
Quelle est la place de la Corse face à la problématique des programmes européens ?
En dehors des programmes financiers, qui sont récurrents un peu partout en France, et qui impliquent de grosses réductions d’enveloppes, on s’estime complètement décrochés de ces programmes, axés, pour la plupart, sur des lobbings industriels où l’on a tendance à standardiser les produits en entrant dans des normes et des règlements très stricts. Or, en Corse, nous sommes dans une petite région où les exploitations sont de taille familiale qui n’ont pas forcément la capacité financière suffisante, ni sans doute également la volonté car on perd, dans la standardisation, un peu de notre savoir-faire. L’Europe ne prend pas en compte cette réalité. On est monté, en octobre dernier, à Bruxelles afin de défendre notre position. Les agriculteurs ne doivent pas être au service de Bruxelles mais Bruxelles au service des agriculteurs et des régions puisque l’Europe se veut être au service des régions.
Avec la nouvelle PAC qui se dessine, peut-on parler de carrefour important pour l’agriculture corse ?
Nous sommes, effectivement, à une période charnière. En France, moins de 20 agriculteurs perçoivent 80% des financements européens. Cela veut dire que les grosses régions françaises captent la plupart des financements. On accuse beaucoup la Corse de percevoir des fonds, il y a sans doute une très mauvaise utilisation des crédits mais, d’un autre côté, l’île fait partie des régions françaises les plus pauvres. À un moment donné, on a besoin, s’il y a des restrictions budgétaires, d’une meilleure répartition de ces fonds. Il faut redistribuer les cartes et réunir les conditions pour que des régions comme les nôtres puissent en tirer tirer profit.
Peut-on concilier, selon vous, le savoir-faire de nos anciens avec les contraintes européennes ?
Il doit y avoir un peu plus d’ouverture de la part des règlements européens. Mais si on reste en l’état, non. C’est tout l’enjeu de la prochaine PAC. Si l’Europe s’ouvre et prend en compte la problématique des spécificités des régions pauvres, notamment tout le Sud du continent, on aura des problèmes pour continuer à faire de l’agriculture traditionnelle et à maintenir des savoir-faire. À cet effet, la Corse est à un tournant de son histoire en matière d’agriculture. Si Bruxelles prend en compte nos spécificités, on franchira ce cap. Sans quoi, au terme de la prochaine PAC, en 2020, au regard des chiffres (1 installation pour 5 départs à la retraite) et d’une industrie agroalimentaire dynamique qui fait reculer l’agriculture traditionnelle, on entendra quasiment plus parler de l’agriculture corse.
La place de l’agriculture dans le prochain Padduc ?
Le Padduc est lié à deux problématiques. Le foncier, car il y a de moins en moins de terrains agricoles notamment à forts potentiels, une spéculation importante et une anarchie totale sur le développement urbain et touristique. Les prix des terrains agricoles flambent, eux aussi. Le padduc est censé être un schéma d’aménagement mais aussi définir un projet économique sur une vingtaine d’années. On doit donc se donner les moyens, avoir le courage politique de trancher et de réserver des terrains à l’agriculture en fonction de ce que l’on veut faire en terme de développement agricole. On ne pourra pas aller au-delà de nos frontières. Il faudra prendre des décisions au niveau du foncier. La cartographie aura la capacité de cadrer les PLU et les documents d’urbanismes. C’est l’outil visuel qui permettra d’appliquer le Padduc. Mais, à côté de cela, il aura un autre volet important : l’économie. Il faudra, dans ce domaine, savoir, ce que l’on veut en terme de développement économique. Les deux seuls outils possibles sont le tourisme et l’agriculture. Comment faire pour qu’ils cohabitent et que l’un serve l’autre ?
Où en sont vos liens avec l’ODARC et l’ATC ?
Ce sont des outils de mise en œuvre d’une politique de la Collectivité. Mais aujourd’hui, ce sont des agences qui sont mises en amont, et l’on a l’impression qu’ils font leur propre politique. Et cela montre bien qu’il y a un problème en termes de cadrage et de définition de compétences et de prérogatives de chacun. Cela veut dire que la Collectivité délègue ses pouvoirs aux offices et agences et cela nous pose un problème. Nous sommes une institution et l’on devrait pouvoir discuter avec la CTC et les Offices, d’orientation, de stratégie, de développement agricole. À charge, ensuite, pour les offices, de mettre en œuvre. Or, on est simplement concertés pour la mise en œuvre. C’est un secteur où nous sommes les premiers concernés. Il faudra bien, à un moment donné, s’assoir autour d’une table et discuter du rôle de chacun.
Interview réalisée par Philippe Peraut