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L’invité Ghjuvan Santu Plasenzotti

jeudi 16 février 2012, par Journal de la Corse

Depuis sa mise en examen en novembre dernier, dans une affaire de cache d’armes liée à la grande criminalité, Lisandru Plasenzotti n’a jamais cessé de clamer son innocence. Fut-ce, au péril même de sa vie, en entamant, durant plus de 50 jours, une grève de la faim qui aurait pu s’avérer dramatique. En Corse, une immense chaîne de solidarité s’est formée pour venir en aide au jeune homme, dénoncer certaines pratiques, soutenir sa famille et surtout faire en sorte que Lisandru Plasenzotti, en détention provisoire depuis près de cent jours, retrouve les siens. À Ajaccio, les réunions se sont succédé alors que, de son côté, la justice laisse le temps défiler. Ghjuvan Santu Plasenzotti revient sur les trois mois d’incarcération de son fils, une période particulièrement douloureuse. Il évoque, également, les pratiques des juridictions d’exception et demande la libération de Lisandru.

Votre fils est, aujourd’hui, incarcéré depuis trois mois. Quel est votre sentiment sur cette situation ?

Lisandru est emprisonné injustement. Nous avons, à cet effet, posé un certain nombre de questions publiquement, afin de connaître les raisons de son incarcération. Tout le monde a pu constater que nous n’avons encore à ce jour, aucune réponse. On ne nous en donne pas ! Nous avons livré, toujours auprès de l’opinion publique, un certain nombre d’éléments du dossier qui montrent bien que Lisandru n’a rien à voir dans cette histoire. Il s’est expliqué très largement, de manière cohérente et continue avec la police, ainsi qu’à trois reprises avec le juge. Nous comprenons tout à fait et cela ne nous gêne pas du tout qu’une enquête soit menée, y compris sur Lisandru, quand on fait les découvertes illicites qui ont été faites l’an dernier. Mais en aucune manière cela justifie son emprisonnement.

Remettez-vous en cause les conditions de sa mise en examen ?

Cette mise en examen est totalement inexplicable dans le sens où Lisandru n’a absolument rien à voir ni avec l’endroit où l’on a découvert les objets en question, ni avec les personnes qui ont été mises en examen dans cette affaire. Il s’est présenté spontanément au commissariat. Ensuite, il a souhaité immédiatement s’expliquer avec le juge mais il a fallu attendre une très longue grève de la faim, douloureuse pour lui et pour nous avant qu’il soit entendu. Il a donné toutes les explications nécessaires, n’ai jamais été mis en difficulté. Il n’y rien de mystérieux. Lisandru ne connaît pas la plupart des personnes mises en examen. Quant à celles qu’il connaît, il a simplement les relations que peut avoir un jeune homme de 22 ans avec des jeunes de son âge. Encore faudrait-il que ces personnes aient réellement quelque chose à voir dans cette affaire. Pour notre part, nous l’ignorons.

Pensez-vous que la JIRS s’acharne sur votre fils ?

Nous avons, je pense, identifié les causes réelles de ce qui lui arrive. Lisandru paye, aujourd’hui, ce qui s’est passé cet été, à savoir son refus de prélèvement ADN. Nous avons, du reste, démontré que son emprisonnement dans le cadre de la première affaire avait été causé par ce refus et non pas par son implication dans quoi que ce soit. Et la manière dont nous avons, avec l’aide d’un très fort mouvement d’opinion, obtenu sa libération, n’a, visiblement pas été appréciée par un certain nombre de policiers. On a voulu le lui faire payer tout simplement en voulant l’impliquer dans une affaire encore plus grave. On l’a envoyé à Marseille et l’on a espéré le mettre en cause dans une affaire de criminalité organisée avec des ramifications internationales, ce qui est aberrant. Nous avons pu démontrer que ces accusations étaient totalement absurdes. Et il est inhumain que Lisandru ait été, dans cette affaire, incarcéré aux Baumettes. Depuis le premier jour, sa place n’est pas en prison mais auprès des siens.

Où en est l’affaire, aujourd’hui ?

Lisandru s’est expliqué très longuement- à deux reprises plus de deux heures-avec le juge. Il n’a été ni en contradiction avec des précédentes déclarations, ni avec celles d’autres personnes. Il a une vie tout à fait normale en tant qu’étudiant, travailleur saisonnier ou surveillant dans un collège. Il n’a pas de revenus illicites, ne vit pas "d’argent sale" mais de l’aide de ses parents et du petit salaire que lui donne sa fonction d’adjoint d’enseignement. Il n’y a rien que le lie, en quoi que ce soit, avec une procédure de la Jirs. Nous demandons donc des réponses. La police et le procureur, ne nous ont pas répondu. Nous attendons, désormais, un entretien de Lisandru avec les juges, en présence de son avocat pour qu’enfin, la réalité de cette situation apparaisse aux yeux de la justice. Nous avons confiance. Et si l’opinion publique s’est rendue compte que Lisandru n’avait rien à voir dans cette affaire, nous pensons que les juges, à un moment donné, en feront de même. Qu’ils fassent toutes les vérifications nécessaires, cela ne nous empêchera pas de rester raisonnablement optimistes. Cette histoire a, maintenant, assez duré, il faut qu’elle se termine, c’est tout.

Qu’attendez-vous de la justice ?

La libération de notre fils. On ne veut pas qu’elle reconnaisse une quelconque erreur dans cette affaire, ce n’est pas le but recherché. Nous considérons que les juridictions d’exception sont, en soi, une erreur. Il faut savoir que la police a joué un drôle de jeu dans cette histoire et tout le monde doit le savoir. Ils ont essayé de briser Lisandru, cet été puis à travers cette affaire. Ils n’y sont pas arrivés car il y a, dans ce pays, des gens qui pensent, réfléchissent, qui ne sont pas dupes des pratiques de certains policiers. Et cette situation a permis de les faire éclater au grand jour. La presse a pu démontrer, récemment, à travers certains articles, que l’on pouvait fabriquer des fausses preuves, des faux PV, y compris pour impliquer des policiers ! Nous n’avons pas de preuve mais il ne serait pas étonnant qu’il y ait eu ce genre de pratique en ce qui concerne Lisandru. En tout état de cause, il n’avait ni à être mis en examen, ni à être envoyé à Marseille et encore moins y être incarcéré. Et la première chose anormale dans cette affaire, c’est qu’il ait pu justement être incarcéré sur la base d’un rapport de police. Ce rapport n’apporte aucune preuve sur une quelconque culpabilité de Lisandru. Il faut se poser des questions.

Lesquelles ?

Un pays qui se dit démocratique, peut-il se permettre de mettre en place des juridictions d’exception ? Au nom d’une lutte contre la criminalité dont on sait qu’en Corse, elle est totalement inefficace. La plupart des assassinats restent non élucidés, et ces juridictions d’exception font, bien souvent, des victimes qui n’ont rien à voir avec la criminalité organisée.

Comment avez-vous vécu ces trois mois ?

On a eu tout d’abord très peur concernant la santé de Lisandru à la suite de sa grève de la faim. Là aussi, nous n’avons pas eu de réponse de l’administration pénitentiaire. En revanche, nous avons bénéficié d’un soutien très important de la population corse, de la Ligue des Droits de l’Homme en Corse et à Marseille, ils ont été très efficaces. Je n’oublie pas, non plus, le comité de soutien, porté par les enseignants du collège Arthur Giovoni à Ajaccio. Nous tenons à remercier toutes celles et ceux qui ont apporté leur contribution. Ils ont tous été d’un très grand secours durant cette période de crise que l’ont a eu à supporter. On leur doit beaucoup car ils nous permis de tenir, de rester debout à un moment où c’était très difficile. Lisandru a également reçu énormément de courrier, ce qui lui a permis de tenir moralement, de savoir que son combat était compris et d’avoir beaucoup de courage. Globalement, les médias ont, également, joué le jeu mais en premier lieu, nous retenons toutes ces personnes qui ont pris sur leur temps et leur énergie bravant même les intempéries pour venir apporter leur soutien. Cela ne s’oublie pas. De même qu’une poignée d’élus dont l’intervention a été importante. Il y a aussi des personnalités qui nous ont téléphonés et sont intervenus de manière efficace pour faire hospitaliser Lisandru. C’est quelque chose qui nous apporté un peu de paix au moment où toutes nos pensées étaient concentrées pour sauver la vie de notre fils. Les médecins attendaient qu’il soit inconscient pour intervenir. Or, s’il était inconscient, sa santé aurait subi des dégâts irréversibles et on avait très peur. Je crois que c’est la plus longue grève de la faim menée par un Corse.

Qu’en est-il de sa santé aujourd’hui ?

Il n’a pas encore récupéré la totalité de son poids mais il va bien. On s’occupe de lui et il est doté d’un moral au plus haut. Il est toujours aussi déterminé dans sa défense et reste combatif sans jamais avoir baissé les bras. Il ne voulait surtout pas quelques mois de prison, sortir avec un non-lieu et se porter la croix infamante d’avoir été incarcéré dans le cadre d’une affaire criminelle. Il fallait immédiatement qu’il affirme son innocence afin de pouvoir, ensuite le réitérer.

Cette histoire laissera t-elle des traces ?

Elle va le faire mûrir. Il a 22 ans, c’est un garçon relativement mûr pour son âge. Comme on dit chez nous : "Ciò ch’ùn tomba, ingrassa !"On s’efforcera de garder le meilleur, c’est-à-dire l’immense solidarité dont on a bénéficié. On a été soutenus à un point que l’on osait imaginer. Ce qui nous conforte dans l’idée qu’il y a encore un avenir pour ce pays.

Interview réalisée par Philippe Peraut

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